Évaluation médico-économique des stratégies de prise en charge de l’insuffisance rénale chronique terminale en France

Recommandation en santé publique - Mis en ligne le 19 nov. 2014

La Haute Autorité de santé (HAS) et l’Agence de la biomédecine ont conduit une évaluation médico-économique des stratégies de prise en charge des patients traités pour insuffisance rénale chronique terminale (IRCT).

L’objectif était d’évaluer l’impact clinique et économique de possibilités de changements dans la trajectoire de soins des patients entre différentes modalités de traitement de suppléance : hémodialyse en centre, en unité de dialyse médicalisée, en unité d’autodialyse, à domicile ; dialyse péritonéale automatisée (DPA) et dialyse péritonéale continue ambulatoire (DPCA) assistée ou non assistée par une infirmière ; transplantation rénale à partir de donneur décédé ou vivant.

L’évaluation s’est fondée d’une part, sur une étude de coût à partir des données de l’Assurance maladie et, d’autre part, sur un modèle alimenté par les trajectoires observées dans le registre français des traitements de suppléance de l’IRCT (REIN).

Ce modèle a permis d’évaluer l’efficience de différentes stratégies de prise en charge, en tenant compte des possibilités d’évolutions par rapport à la situation actuelle, en particulier le développement de la transplantation rénale, le développement de la prise en charge hors centre de dialyse et à domicile.

Le contexte

L’insuffisance rénale chronique terminale (IRCT) est une des complications de maladies chroniques comme le diabète ou l’hypertension qui représentent à elles seules 50% des atteintes rénales aboutissant à un traitement de suppléance par dialyse ou transplantation rénale.

Selon le registre épidémiologie et information en néphrologie (REIN), registre français des traitements de suppléance de l’IRCT, 73 491 patients suivaient un traitement de suppléance au 31/12/2012 (soit environ 0,1% des habitants).

L’Assurance maladie a estimé le coût global de prise en charge de cette pathologie à plus de 4 milliards d’euros pour 61 000 patients traités en 2007 et une augmentation régulière du nombre de patients pris en charge est constatée.

En France, les dix modalités de traitement les plus courantes sont :

  • la transplantation (ou greffe rénale) à partir de donneur décédé et vivant
  • l’hémodialyse en centre, en unité de dialyse médicalisée (UDM), en unité d’autodialyse et à domicile
  • la dialyse péritonéale continue ambulatoire ou automatisée, assistée ou non par un infirmier.

Les disparités importantes d’une région à l’autre mais aussi entre les pays, dans le recours aux différentes modalités de traitement montrent qu’il existe des marges de manœuvre dans l’évolution des stratégies de prise en charge. Le cadre réglementaire et les orientations de la politique de santé, sans déterminer une orientation selon le profil des patients et en insistant sur la liberté de choix a marqué la volonté de développer la transplantation rénale et la prise en charge hors centre de dialyse et à domicile.

A la demande de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie des Travailleurs Salariés et de la Direction Générale de l’Offre de Soins, la HAS et l’Agence de la biomédecine ont conduit une évaluation médico-économique des stratégies de prise en charge des patients atteints d’insuffisance rénale chronique terminale.

L’objectif était de modéliser des possibilités de changement dans la trajectoire de soins des patients entre les différentes modalités de traitement de suppléance et d’évaluer leurs conséquences d’un point de vue clinique et économique.

 

La méthode

Dans le cadre de leur partenariat, la HAS et l’Agence de la biomédecine ont conduit l’évaluation à partir de 3 étapes :

  • La revue de la littérature a fourni un état des connaissances sur l’évaluation médico-économique de la prise en charge de l’IRCT. Elle a également mis en évidence l’importance de conduire un travail à part entière qui a fait l’objet d’un volet spécifique sur l’analyse des possibilités de développement de la transplantation rénale en France, publié en septembre 2012.
  • L’étude de coût a été réalisée à partir de l’analyse des données du système d’information de l’Assurance maladie (SNIIRAM) et de l'hospitalisation (PMSI). Elle a analysé les différences selon les modalités de traitement (prise en considération du lieu de prise en charge et de l’environnement médical et paramédical et non uniquement de la technique de traitement), les facteurs de variation liés aux caractéristiques cliniques des patients (âge et statut diabétique) et la position des patients dans la trajectoire de soins (démarrage du traitement, changement de traitement, décès).
  • L’évaluation médico-économique se fonde sur un modèle permettant de décrire les évolutions sur 15 ans de la répartition des patients pris en charge dans dix modalités de traitement depuis le début de leur traitement de suppléance. Il a permis de simuler des changements dans les trajectoires de soins des patients en modifiant la part relative des différentes modalités de traitement de suppléance reçues au cours du temps et d’évaluer leurs conséquences en termes de coût et d’efficacité (espérance de vie). Les simulations de changement ont été effectuées en fonction de six groupes de patients : 18-44 ans, 45-69 ans et 70 ans et plus, et selon le statut diabétique.

Partant de la place importante de l’hémodialyse en centre et considérant qu’une partie des patients pouvaient être pris en charge différemment sans perte de chance, l’évaluation a voulu déterminer l’impact médico-économique de stratégies alternatives à la prise en charge observée dans les données du registre REIN définies selon 4 axes : développement de la transplantation rénale, développement de la dialyse hors centre, préférence des patients pour des traitements qui favorisent leur autonomie et prise en charge à proximité du domicile.

L’ampleur des changements simulés a tenu compte des possibilités d’évolution par rapport à la situation observée et des caractéristiques cliniques des patients, sans remettre en cause la liberté de choix des patients de leur modalité de traitement. L’hypothèse sous-jacente était que les caractéristiques d’une partie des patients traités en hémodialyse en centre étaient compatibles avec un autre mode de prise en charge.

 

Les résultats de l’évaluation

L’évaluation médico-économique permet de comparer les stratégies de prise en charge selon une dimension clinique et économique. Dans cette étude, les différentiels d’espérance de vie estimés entre les stratégies comparées sur 15 ans étant très faibles, ils doivent, pour le moins, être interprétés avec précaution.

Dans la stratégie fondée sur les données observées, le coût moyen de prise en charge d’un patient en IRCT sur les 15 premières années après le démarrage d’un traitement de suppléance variait de 2 736€ par mois pour les jeunes de 18 à 45 ans non diabétiques à 7 045€ par mois pour les personnes âgées de plus de 70 ans diabétiques (coûts actualisés).

L’évaluation a montré que pour tous les groupes d’âge, les stratégies fondées sur le développement de la transplantation rénale sont efficientes par rapport à l’ensemble des stratégies évaluées. Ce résultat confirme à partir de données françaises, les conclusions des études publiées dans d’autres pays.

Ainsi, une stratégie de développement de la transplantation à la fois à partir de donneurs décédés et vivants pour le groupe des patients âgés de 18-44 ans permettrait de diminuer les coûts de prise en charge de 400 € par mois, par patient (coûts actualisés).

Chez les patients de plus de 70 ans, le recours aux machines à perfusion offrant la possibilité d’utiliser des greffons de donneurs âgés avec de bons résultats, permettrait le développement de la greffe à partir de donneurs décédés et de diminuer les coûts de 400 à 800€ par mois par patient.

Les patients âgés de 45 à 69 ans est un groupe hétérogène dont l’accès à la greffe pourrait être amélioré à la fois à partir des donneurs décédés et des donneurs vivants, permettant une diminution du coût de prise en charge entre 300 et 400 € par mois par patient.

La rareté des greffons a justifié d’évaluer l’impact médico-économique de stratégies de dialyse avec des choix différents des pratiques observées dans les données du registre REIN et en explorant plusieurs pistes : développer l’autonomie, la proximité de l’offre par rapport au domicile et la diversité des modes de prise en charge.

Par rapport à l’ensemble des stratégies évaluées, certaines sont efficientes dans tous les groupes d’âge de patients de plus de 45 ans : c’est le cas des stratégies « ambitieuses » fondées sur le développement conjoint de la dialyse péritonéale au démarrage et  de l’hémodialyse hors centre dans les trajectoires des patients qui permettent de diminuer les coûts de prise en charge d’environ 300 à 400€ par mois par patient. Ces changements importants de pratiques posent cependant la question de la disponibilité et de la formation du personnel soignant à ces différentes techniques (en particulier des infirmières) et aussi, de l’impact organisationnel sur les offreurs de soins et de l’accès des patients à une offre de soins diversifiée.

Par ailleurs, par rapport à la stratégie fondée sur les pratiques observées à partir des données du registre REIN, la plupart des stratégies évaluées sont aussi efficaces et moins coûteuses :

  • Chez les patients âgés de 18 à 44 ans en attente de transplantation et pour les patients ayant fait le choix d’un traitement à domicile, les stratégies fondées sur le développement de la dialyse péritonéale non assistée seraient intéressantes à développer, leur coût étant inférieur à celui de la stratégie observée. Chez ceux qui n’ont pas été greffés lorsque le transfert en hémodialyse est nécessaire, les stratégies envisageaient l’hémodialyse à domicile ou l’autodialyse dans la trajectoire afin de maintenir l’autonomie des patients et la prise en charge à domicile pour ceux qui le souhaitent. Les gains de telles trajectoires sont d’environ de 50 à 100€ par mois par patient, en raison d’un accès à la greffe rapide des patients jeunes et donc d’une durée limitée passée en dialyse.
    Dans ce même groupe d’âge, chez les patients qui ne souhaitent pas ou ne peuvent pas être traités à domicile, les stratégies de prise en charge favorisant l’autodialyse sont moins coûteuses (environ 200€ par mois par patient) ; de ce fait, l’accès à cette offre de soins doit être maintenu voire développé.
  • Chez les patients d’âge intermédiaire (45-69 ans) qui ont fait le choix d’un traitement à domicile, les stratégies fondées sur le développement de la dialyse péritonéale non assistée ont un coût inférieur à celui de la stratégie observée. Lorsque le transfert en hémodialyse est nécessaire, ces stratégies envisageaient soit l’autodialyse, soit l’UDM dans la trajectoire du patient afin de maintenir si possible le plus longtemps possible l’autonomie des patients. Le différentiel de coût est d’environ 100€ par mois par patient en raison du temps total passé en dialyse péritonéale qui reste limité.
    Pour ceux qui ne souhaitent pas ou ne peuvent pas être traités à domicile, les stratégies de prise en charge favorisant selon l’état clinique l’autodialyse puis l’UDM ou l’UDM puis le centre permettent de diminuer les coûts de l’ordre de 200€ par mois par patient.
  • Chez les plus de 70 ans, pour les patients ayant fait le choix d’un traitement à domicile, les stratégies fondées sur le développement de la dialyse péritonéale assistée par une infirmière ont un coût inférieur à celui de la stratégie observée. Lorsque le transfert en hémodialyse est nécessaire, ces stratégies envisageaient l’hémodialyse en UDM dans la trajectoire du patient. Le différentiel de coût attendu par rapport à la stratégie observée est d’environ de 50 à 100€ par mois par patient en raison du coût de l’assistance, cependant indispensable pour la plupart de ces patients.
  • Chez les plus de 70 ans qui ne souhaitent pas ou ne peuvent pas être traités à domicile, les stratégies de prise en charge favorisant l’UDM avec un retour préparé en hémodialyse en centre au-delà de 5 ans sont moins coûteuses (environ 300€ par mois par patient).

Certaines stratégies novatrices comme l’hémodialyse quotidienne à bas débit de dialysat ou le recours à la télémédecine dans l’organisation des soins n’ont pu être simulées en l’absence de données mais méritent d’être considérées car elles privilégient le maintien à domicile ou l’autonomie ou la proximité de la prise charge.

 

Au-delà des simulations réalisées sur une cohorte de 1000 patients incidents, l’impact global de la mise en œuvre de ces stratégies dépendra du nombre de nouveaux patients impliqués chaque année.

Enfin, les choix des patients et l’évolution de leur état clinique sont déterminants dans les possibilités de mise en œuvre d’une stratégie de prise en charge, également conditionnée par l’offre de soins en dialyse et ses possibilités d’évolution au regard des spécificités territoriales et les potentialités de développement de la transplantation rénale.

 

Points forts et perspectives

Cette évaluation a permis de mettre en évidence l’impact médico-économique de différentes stratégies alternatives à la prise en charge observée, et aussi de discuter de points méthodologiques dont il sera important de tenir compte dans de futures études.

En conditions réelles, la prise en charge d’un patient en IRCT étant très fréquemment décomposée par le recours successifs à différents traitements, cette étude a montré l’intérêt de ne pas comparer les traitements deux à deux mais des stratégies détaillant les différentes modalités d’organisation de la prise en charge au-delà des trois techniques de traitement (hémodialyse, dialyse péritonéale et transplantation).

Dans l’estimation des coûts de prise en charge, les résultats de l’étude fondée sur les données du système d’information de l’Assurance maladie confirment également la nécessité de tenir compte des modalités de traitement (selon le lieu de prise en charge et de l’environnement médical et paramédical), mais aussi des caractéristiques cliniques et des évènements dans la trajectoire des patients (démarrage, changement de modalité de traitement, transplantation et décès).

En montrant qu’il existe selon les groupes de patients, plusieurs stratégies alternatives qui sont moins coûteuses que la stratégie fondée sur les pratiques observées pour une efficacité équivalente, les résultats de cette évaluation ont pour objectifs d’aider les autorités de tutelles, en particulier la DGOS et les ARS dans la définition des orientations de l’offre de soins.

L’étude de coût devra faire l’objet d’une actualisation régulière par l’Agence de la biomédecine et la Cnamts. Par ailleurs, l’outil de modélisation élaboré pour cette évaluation a vocation à être développé afin de servir de socle à des études plus fines conduites au niveau régional.

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