Pertinence du dépistage du cancer broncho-pulmonaire en France - Point de situation sur les données disponibles - Analyse critique des études contrôlées randomisées

Recommandation en santé publique - Mis en ligne le 19 mai 2016

La Haute Autorité de santé (HAS) publie, suite à la demande de pneumologues et de radiologues et dans le cadre du Plan cancer 2014-2019, un rapport sur l’évaluation de la pertinence du dépistage du cancer broncho-pulmonaire (cancer du poumon) en France. Le rapport présente l’analyse critique et la synthèse des informations issues des publications sur les essais contrôlés de dépistage de ce cancer par imagerie tomodensitométrique du thorax (scanner thoracique) chez des individus fumeurs, réalisées, à sa demande, par un groupe externe d’experts indépendants en évaluation de programmes de dépistage. A l’issue de ce travail et au regard des critères définis par l’OMS et actualisés par l’Anaes/HAS justifiant la mise en place d’un dépistage, la HAS considère que les conditions de qualité, d’efficacité et de sécurité nécessaires à la réalisation du dépistage du cancer broncho-pulmonaire par tomodensitométrie thoracique à dose de rayons X qualifiée de faible chez des personnes fortement exposées au tabac ou l’ayant été ne sont pas réunies en France en 2016. 

La HAS rappelle, par ailleurs, les difficultés à identifier de façon précise et fiable la population la plus à risque de cancer broncho-pulmonaire et souligne donc l’intérêt d’orienter les recherches autour de cette question. Elle rappelle également la nécessité d’une maitrise de l’irradiation, la répétition d’examens radiologiques entrainant un cumul de doses de rayons X au niveau des organes du thorax (dont poumons, seins) et souligne l’importance de recherches complémentaires afin d’améliorer les connaissances sur les conséquences de l’exposition répétée à des doses de rayons X qualifiées de faibles.

 

Conclusion générale et avis de la HAS

Les données disponibles sur le dépistage du cancer broncho-pulmonaire sont synthétisées au regard des critères justifiant la mise en place d’un dépistage définis par l’OMS et actualisés par l’Anaes/HAS en 2004.

Les répercussions de la maladie sur l’individu et la société doivent avoir été mesurées (en termes de mortalité/morbidité, d’impact socio-économique).

Le nombre de cancers broncho-pulmonaires (CBP) a été estimé à 39 495 nouveaux cas diagnostiqués et le CBP est à l’origine de 29 949 décès en France en 2012. Retrouvé dans 71 % des cas chez des hommes, le CBP représente la 1ère cause de décès par cancer dans cette population (21 326 cas, taux de mortalité standardisé (monde) de 37 pour 100 000). Chez les femmes, le CBP représente la 2nd cause de décès par cancers (8 623 cas, taux de mortalité standardisé (monde) de 12,9 pour 100 000).

La mortalité par CBP (toutes localisations, tous types histologiques et tous stades confondus) est faible avant 50 ans et assez similaire pour les deux sexes. Elle augmente ensuite avec l’âge, plus rapidement chez les hommes que chez les femmes (taux de mortalité 2,5 à 5 fois plus importants selon les classes d’âge). L’incidence augmente avec l’âge, les taux de nouveaux cas diagnostiqués étant maximaux dans la classe 70-74 ans chez les hommes et 75-79 ans chez les femmes.

De manière générale, le CBP est un cancer de mauvais pronostic, avec des taux de survie globalement stables et parmi les plus faibles pour les tumeurs solides (de l’ordre de 15 % à 5 ans).

Ni la gravité, ni la fréquence d’une maladie ne peuvent à elles seules justifier du caractère opportun d’un dépistage. Les caractéristiques de la maladie dépistée, du test envisagé comme méthode de dépistage, les options thérapeutiques efficaces disponibles pour modifier le cours de la maladie et améliorer l’état de santé doivent également être prises en compte.


L’épidémiologie et l’histoire naturelle de la maladie doivent être suffisamment connues (y compris le développement de la maladie du stade latent au stade déclaré).

Il existe des données sur le CBP issues des registres français régulièrement analysées. D’autres données épidémiologiques ont été recueillies dans des hôpitaux généraux. Les connaissances sur l’épidémiologie du CBP en France (dont types histologiques, localisations et stades au diagnostic) restent néanmoins partielles.

La possibilité de dépister une maladie à un stade précoce est d’abord liée au temps de son évolution. Ainsi, le dépistage est d’autant moins possible que la vitesse d’évolution de l’affection est rapide. Ces caractéristiques d’évolution ont également un impact sur le choix d’une fréquence et d’une durée de dépistage appropriées.

Le CBP fait partie des tumeurs solides qui peuvent être rapidement évolutives. L’existence d’une période de développement à la fois connue et suffisamment longue, entre le moment où une anomalie évocatrice d’un nodule suspect de CBP est décelable à l’examen de dépistage envisagé (tomodensitométrie thoracique) et l’apparition de symptômes, ne paraît pas clairement établie.


Toutes les interventions de prévention primaire coût-efficaces doivent autant que possible, être mises en œuvre.

Le meilleur moyen pour lutter contre la survenue du CBP et réduire la mortalité associée reste la prévention primaire, en agissant en particulier contre le tabagisme. Trois axes prioritaires ont été retenus par le ministère des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes dans le programme national de réduction du tabagisme (objectif 10 du Plan cancer 2014-2019) : protéger les jeunes et éviter l’entrée dans le tabac, aider les fumeurs à s’arrêter, agir sur l’économie du tabac.

Des recommandations de bonne pratique clinique pour l’arrêt de la consommation de tabac sont disponibles sur le site de la HAS. Les bénéfices associés à un arrêt du tabac concernent les CBP ainsi que de nombreuses autres localisations de cancers et les maladies cardiovasculaires. Des interventions d’aide au sevrage tabagique ont montré leur efficacité et sont associées à un rapport cout/efficacité très favorable.


Un test de dépistage simple à mettre en œuvre, fiable, reproductible et valide doit être disponible. Il doit être acceptable par la population, c’est à dire simple et facile à exécuter, le moins invasif possible, sans danger d’autant qu’il s’adresse par définition à des individus non symptomatiques

Il n’existe pas de méthode valide et reproductible pour le dépistage du CBP.
La sensibilité élevée mais la spécificité faible de la tomodensitométrie thoracique dans le dépistage de nodules évocateurs de CBP, avec une part très importante d’examens faux positifs (plus de 90 % des examens d’imagerie positifs ou suspects dans les études examinées) sont liées à la technique en elle-même, qui permet de visualiser les anomalies opaques aux rayons X. La caractérisation des performances diagnostiques de la tomodensitométrie thoracique pour un dépistage est difficile en raison notamment de l’hétérogénéité des définitions d’une image positive (taille et consistance de l’anomalie observée sur le cliché), variables selon les études. L’examen peut amener à l’identification d’autres anomalies que celles visées par le dépistage (dont CBP non opérables, anomalies non cancéreuses).

La dose de rayons X effectivement reçue par les individus dépistés était très rarement documentée dans les études de dépistage et le caractère faible de la dose de rayons X effectivement reçue est difficile à établir.
Dans le cadre d’un dépistage qui soumet des individus sans symptômes à une dose de rayons X, il est primordial de réduire cette dose au strict nécessaire, d’où la notion de tomodensitométrie « faible dose ». Cette dénomination ne fait toutefois pas l’objet d’un consensus et n’est pas associée à un niveau de dose défini. La dose de rayons X effectivement reçue par la personne dépistée est notamment liée aux paramètres d’acquisition et de reconstruction de l’image, à la technologie tomodensitométrique et à l’anatomie de la personne examinée.

L’évaluation de l’examen d’imagerie tomodensitométrique du thorax à dose de rayons X qualifiée de faible comme technique de dépistage se heurte à plusieurs difficultés en lien avec le caractère irradiant du test et notamment :

  • aux inconnues sur les effets d‘expositions répétées à des intervalles réguliers ;
  • au problème de la définition de la faible dose, et à la capacité des matériels à la délivrer.

 

Un accord est nécessaire dans la communauté scientifique sur les investigations diagnostiques à poursuivre chez les personnes dont le test est positif et sur les choix disponibles pour ces individus.

Dans les essais examinés, la séquence des examens complémentaires pour l’exploration des nodules suspects à l’imagerie était non standardisée ou non décrite.

Les examens irradiants ou invasifs pour l’exploration des nodules (autres tomodensitométries, biopsie trans-thoracique, bronchoscopie, biopsie par voie chirurgicale) peuvent s’avérer inutiles et injustifiés. Le manque de protocole clairement défini et mis en œuvre par des équipes dédiées, multidisciplinaires et expérimentées contribue potentiellement à la non-justification de ces explorations.


Une intervention doit être efficace pour les patients identifiés précocement, avec la preuve que l’intervention plus précoce apporte de meilleurs résultats que l’intervention plus tardive.
Une identification, consensuelle et fondée sur les preuves, des individus susceptibles de bénéficier de l’intervention étudiée, c’est à dire des individus à risque qui soient définis et atteignables, est nécessaire.

La possibilité d’une intervention thérapeutique à visée curative est très limitée pour le CBP. Le traitement de référence des CBP diagnostiqués à un stade précoce est chirurgical. Le traitement ne garantit pas l’absence de rechute et n’est médicalement pas toujours faisable. Sa réalisation est conditionnée à la possibilité d’accéder chirurgicalement à la tumeur, selon sa localisation, sa taille, son type histologique (de façon générale, seuls les CBP non à petites cellules, de localisation périphérique, sont éligibles à ce type de traitement) et à l’état général de la personne concernée. De plus, une insuffisance respiratoire ou cardiaque liée au tabagisme peut limiter la possibilité de réaliser l’intervention chirurgicale ou en augmenter les risques associés. L’examen peut également conduire à l’identification de tumeurs, avec peu, voire pas, de choix thérapeutique pour une partie de la population dépistée.

La définition des populations des essais était liée à leur exposition au tabac et donc à leur niveau de risque. Plusieurs indicateurs ont été utilisés dans les essais pour estimer l’intensité de l’exposition (≥30 ou ≥20 paquets-année ou 15 cig./j pendant 25 ans ou plus de 10 cig./j pendant 30 ans, temps d’arrêt du tabagisme de moins de 15 ans ou de 10 ans) mais ne sont pas strictement superposables et ne permettent pas d’identifier de manière consensuelle la population cible de ce dépistage pour la France. La notion de population fortement exposée au tabac ou l’ayant été est au final complexe à définir avec précision. L’importance respective précise de la durée et de l’intensité de l’exposition, de la durée du temps d’arrêt, de l’âge de début… fait l’objet de discussions scientifiques.

Ces éléments renvoient à la faisabilité du dépistage dans une population spécifique de fumeurs, à risque de CBP mais difficile à identifier ; le repérage des individus fortement fumeurs est d’autant plus difficile qu’il peut exister une sous-estimation par les fumeurs eux-mêmes de leur tabagisme.


L’efficacité du programme de dépistage sur la réduction de la mortalité ou la morbidité doit être prouvée par des essais contrôlés randomisés de haute qualité ou faire l’objet d’un consensus international.
Les avantages du programme de dépistage doivent dépasser les inconvénients (causés par le test, les procédures diagnostiques et les interventions).

La littérature est limitée à sept essais randomisés visant à montrer l’effet du dépistage par tomodensitométrie thoracique (à dose de rayons X qualifiée de faible) sur la réduction de la mortalité par CBP (recrutement débuté entre 2002 et 2011) en comparaison à un groupe témoin :

  • dépisté par radiographie (NLST) ;
  • sans dépistage (NELSON, MILD, ITALUNG, LUSI), avec une visite annuelle (DLCST), avec cytologie des crachats et radiographie initiales (DANTE).

Trois autres études (début des années 2000) étaient des études de faisabilité (LSS préalable à NLST et DEPISCAN, non aboutie) ou en cours d’inclusion (UKLS), sans résultat disponible sur l’effet du dépistage sur la mortalité.

Selon l’analyse approfondie des essais randomisés sur ce dépistage (cf. chapitre 3), aucune étude ne fournit tous les éléments nécessaires pour documenter réellement le rapport avantages/inconvénients d’un tel programme de dépistage.

Seule l’étude américaine NLST suggère qu’un dépistage par tomodensitométrie pourrait réduire la mortalité spécifique ; néanmoins, les conditions de réalisation de cette étude et la comparaison menée ne sont pas représentatives du contexte français ; les éléments en défaveur du dépistage (fréquence élevée des faux positifs, risque accru de complications) et la durée de suivi n’excluent pas que le rapport avantages/inconvénients puisse être en défaveur du dépistage.

En effet, le National Lung Screening Trial (NLST), essai randomisée mené aux États-Unis entre 2002 et 2007 par l'American College of Radiology Imaging Network, a cherché à recruter des individus des deux sexes, âgés de 55 à 74 ans, fortement exposés au tabac (au moins 30 paquetsannées, fumeurs au moment de l’inclusion ou ayant arrêté depuis moins de 15 ans).
Les données recueillies aux États-Unis, il y a plus de 10 ans, ont fait l’objet de multiples analyses. L’essai est terminé et les analyses sur le critère de jugement principal publiées (New England Journal of Medicine 2011, 2013 et Cancer 2013).

Plusieurs éléments sont à souligner :

  • la population effectivement recrutée aux États-Unis entre 2002 et 2004 après courrier et information communautaire était plus jeune, plus éduquée et moins fumeuse que la population initialement visée dans l’étude ;
  • initialement prévue à 5 ans, l’analyse de la mortalité a été réalisée après un dépistage initial puis deux cycles annuels, par rapport à un groupe témoin dépisté par radiographie thoracique ;
  • le suivi diagnostique n’a concerné que 72,1 % des scanners positifs (sur 17 702 scanners positifs) et 85 % des radiographies positives (sur 4 953 examens positifs) ;
  • le pourcentage d’examens tomodensitométriques ayant conduit à des explorations complémentaires et s’étant avéré faussement positifs était très élevé ;
  • les modalités d’explorations des cas positifs à l’imagerie n’étaient pas standardisées ;
  • la durée de suivi des individus dépistés était relativement limitée (médiane 6,5 ans) ;
  • les complications ont été rapportées seulement pour les individus avec un suivi disponible d’examen de dépistage positif avec au moins une complication dans 184/12757 cas dans le groupe tomodensitométrie et 65/4211 cas dans le groupe radiographie (parmi les complications graves, insuffisance respiratoire aiguë, décès, épanchement de sang dans la cavité pleurale, etc.).

NLST est un essai qui a semblé prometteur mais s’avère très insuffisant d’un point de vue de la documentation de tous les éléments du rapport avantage/inconvénient.

Parmi les six essais randomisés menés en Europe (NELSON, DLCST, ITALUNG, DANTE, MILD, LUSI), un bénéfice du dépistage en termes de réduction de la mortalité n’a été rapporté dans aucune des quatre études avec des résultats publiés (DLCST, DANTE, MILD, LUSI).

Malgré le très grand nombre d’articles concernant NELSON, un manque de clarté dans la description de l’étude (modalités de suivi, prise en charge, identification des événements importants), de grandes ambiguïtés sur les effectifs, différents selon les publications, ont été relevés par les experts en charge de l’analyse des publications issues des études. Les essais européens en cours ne pourront pas répondre à la question de l’efficacité du dépistage, avec une puissance statistique suffisante individuellement. De plus, les méthodes des essais sont très insuffisamment décrites et reflètent une grande hétérogénéité qui fait douter de la légitimité de leur regroupement annoncé.

L’impact psychologique associé a été peu documenté dans les études examinées. L’attente, l’annonce et la nature des résultats ne vont pas dans le sens d’un effet bénéfique du dépistage. Les complications graves potentielles (pouvant aller jusqu’au décès) liées aux investigations consécutives à la découverte de nodules évocateurs de CBP figurent parmi les inconvénients et risques associés à ce dépistage.

Aucune étude n’apporte d’élément satisfaisant sur l’effet d’un programme de dépistage et des résultats de la tomodensitométrie sur la consommation du tabac. L’effet rassurant d’un résultat négatif du dépistage, pour des fumeurs ou des ex-fumeurs, qui serait potentiellement non incitatif à l’arrêt du tabac ou à la poursuite de cet arrêt ne peut être exclu.

Au vu de l’analyse critique des essais contrôlés randomisés sur le dépistage du cancer broncho-pulmonaire par tomodensitométrie thoracique à dose de rayons X qualifiée de faible et au regard des critères justifiant la mise en place d’un dépistage définis par l’OMS et actualisés par l’Anaes/HAS en 2004, la HAS considère que les conditions de qualité, d’efficacité et de sécurité nécessaires à la réalisation du dépistage du cancer bronchopulmonaire par tomodensitométrie thoracique à dose de rayons X qualifiée de faible chez des personnes fortement tabagiques ou l’ayant été ne sont pas réunies en France en 2016.

La HAS souligne par ailleurs que :

  • les expérimentations annoncées dans le Plan cancer 2014-2019 devront faire l’objet d’une évaluation stricte. La HAS rappelle, à cet égard, les difficultés à identifier de façon précise et fiable la population la plus à risque de cancer broncho-pulmonaire et souligne donc l’intérêt d’orienter les recherches autour de cette question. Elle rappelle également la nécessité d’une maîtrise de l’irradiation, la répétition d’examens radiologiques entraînant un cumul de doses de rayons X au niveau des organes du thorax (dont poumons, seins) et souligne l’importance de recherches complémentaires afin d’améliorer les connaissances sur les conséquences de l’exposition répétée à des doses de rayons X qualifiées de faibles ;
  • les coûts, potentiellement élevés relevés dans les essais examinés, devront également être pris en compte.

 

 

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