Évaluation du programme national de dépistage systématique du cancer du sein

Recommandation en santé publique - Mis en ligne le 01 mars 1997 - Mis à jour le 19 juil. 2006

L'évaluation d'un programme national de dépistage d'un cancer, en l'occurrence celui du dépistage systématique de masse du cancer du sein chez la femme, doit suivre la démarche de l'évaluation des actions de Santé Publique proposée par l'ANDEM et être replacée dans la perspective de l'évaluation des politiques publiques rappelée par le Conseil scientifique d'évaluation des politiques publiques.

 

Propositions

Compte tenu de tous les éléments à prendre en compte, pour diffuser le dépistage du cancer du sein dans la population cible, l’alternative pourrait être schématiquement la suivante :

  • améliorer le dépistage « spontané » pour élever le niveau de qualité des mammographies et la prise en charge et le suivi de toutes les femmes ayant une image suspecte ;
  • maintenir le cap d'un programme national de dépistage systématique organisé sur tout le territoire, mais dont on connait les conditions de réalisation nécessaires à la satisfaction des exigences de qualité et d’équité dans la pérennité.

La première solution qui ne prévoit pas d’invitations systématiques conduit à une situation où on a peu de chance de toucher les femmes qui ne sont pas actuellement régulièrement suivies et ne bénéficient pas du dépistage « spontané », même si l'on incite mieux les médecins généralistes à prescrire, à bon escient, une mammographie à leurs patientes. On peut, au mieux, améliorer ainsi globalement, le suivi des catégories de femmes les mieux informées et les plus favorisées, sans d'ailleurs pouvoir mesurer l'effet obtenu. C’est une remise en cause de l’objectif de santé publique du dépistage.

La deuxième solution, a l'intérêt de maintenir l’objectif de santé publique, à savoir de toucher la majorité de la population cible, quelle que soit la catégorie socio-professionnelle, sa couverture sociale et son lieu de résidence, mais les moyens à mettre en œ uvre sont très importants.

Entre ces deux extrêmes, il est raisonnable de proposer une solution intégrant les intérêts de santé publique et les moyens disponibles pour la diffusion du programme national de dépistage systématique du cancer du sein. Cette solution ne pourra être mise en œ uvre que dans le cadre d'une concertation entre l'État et les caisses d'assurance maladie. Toute solution nécessitera des évolutions juridiques et administratives.


Les propositions de l'ANDEM sont les suivantes :

1 - Le dépistage systématique organisé du cancer du sein, visant les femmes de 50 à 69 ans, doit être encouragé et se substituer à terme au dépistage « individuel » ou « spontané ».

Le programme de dépistage systématique doit respecter les principes méthodologiques du cahier des charges actualisé (dont la forme pourrait être améliorée, par ajouts d'annexes techniques de type « vademecum »). Il doit reposer sur une organisation et une structuration plus efficaces.
Certains éléments méthodologiques doivent être précisés et même modifiés. La limite d’âge maximale des femmes visées par le programme (65 ou 69 ans) doit être décidée. Le nombre d'incidences par sein pourrait passer de un à deux clichés. L'augmentation attendue de l'efficacité proviendrait tant de l'amélioration qualitative des mammographies que d'une incitation accrue des radiologues à adhérer au programme (cf. supra). Il peut également être envisagé de pratiquer deux clichés lors de l'examen de la première vague, puis un seul lors des vagues ultérieures. La fréquence pourrait passer de 3 à 2 ans.
Ces points de discussion, qui découlent de l’analyse des programmes étrangers et de l’avis des experts rencontrés, doivent être tranchés par le Comité de pilotage du Programme National de Dépistage Systématique du Cancer du Sein.


2 - Il faut faire évoluer le cadre juridique du dépistage pour aboutir à une meilleure répartition des compétences respectives, en matière de dépistage du cancer, entre l'État et les collectivités territoriales.

Étant donné l'importance des facteurs organisationnels dans l'impact des campagnes et la nécessité d'assurer l'homogénéité et la stabilité du dispositif, en particulier en ce qui concerne son financement, il semble opportun de faire un bilan objectif de l'impact de la décentralisation en matière de santé publique. Il convient d'engager, à partir de l'expérience que constitue la mise en place du programme national de dépistage systématique du cancer du sein, une réflexion plus générale, méthodologiquement rigoureuse, sur les compétences respectives de l'État et des collectivités territoriales en matière de dépistage, dans un souci de permettre la mise en œ uvre d'une véritable politique de santé publique dotée des moyens nécessaires. La saisine du Conseil scientifique d'évaluation des politiques publiques nous semble pertinente* ; le cadre juridique actuel apparait en effet finalement peu propice à la généralisation d'une politique nationale de santé publique, sauf à rendre effective une contractualisation entre l'État et les Conseils généraux qui n'a cependant pas eu lieu à l'occasion de la mise en œ uvre du PNDS.


* Selon certaines informations, cet organisme ne se réunirait plus, dans l'attente de la redéfinition de ses missions par le gouvernement et de la nomination d'un nouveau président.


3 - Les professionnels et les femmes doivent être incités à participer au PNDS

Il faut faire évoluer la nomenclature générale des actes professionnels de radiologie.
Il faut créer les conditions financières et incitatrices pour les radiologues de pratiquer davantage de mammographies de dépistage justifiées. Cela pourrait s'effectuer par une tarification prenant en compte le surcoût lié au contrôle de qualité et ajustant la valeur des mammographies de dépistage réalisées dans le cadre des programmes à celles « hors programme ». La révision permettrait également d'identifier les actes et d'en suivre le volume.

La référence médicale opposable
(RMO) actuelle relative au dépistage du cancer du sein doit être adaptée.
Il faut clarifier la tranche d'âge visée et la périodicité de la mammographie, dans le sens des préconisations européennes reprises dans le PNDS.

Il convient de mettre en œ uvre rapidement une procédure obligatoire de « labellisation » des structures de radiologie participant au PNDS, fondée sur la formation vérifiée des professionnels, le contrôle de qualité des matériels et les procédures d'assurance qualité des examens**.


Cette démarche est ressentie comme nécessaire et inéluctable par la profession elle-même, soucieuse d'assurer la qualité des prestations qu'elle fournit, y compris dans les procédures de dépistage comme celui du cancer du sein.


** Les critères de "labellisation" des structures habilitées à réaliser des mammographies de dépistage devraient être élaborées par une étude complémentaire. Quelques éléments peuvent déjà être avancés. Selon la terminologie de Donabedian pour l'évaluation des structures de soins, ce sont des critères de moyens (structure et organisation) et de procédures qui devraient être retenus, les critères de résultats (au sens de "résultats en terme d'état de santé") ne semblant pas pertinents pour des cabinets ou des services de radiologie. En ce qui concerne les moyens, il faut tenir compte du nombre, de la formation initiale et continue des radiologues et des manipulateurs (certification individuelle), de la présence ou du recours à un physicien (également certifié), de la disponibilité des locaux, ... Les critères de procédure tiendront compte de l'organisation de la maintenance du matériel et de l'organisation du contrôle de qualité, du déroulement de l'activité mammographique diagnostique et de dépistage, de l'insersion du cabinet ou du service dans le dispositif de seconde lecture des clichés et de la qualité technique de ces derniers, ...


A terme, la prise en charge des mammographies par un financement « socialisé »*** ne doit se faire que si elles sont pratiquées dans des structures labellisées.
Cela impliquerait que :

  • les femmes de plus de 50 ans chez qui est réalisée une mammographie de dépistage bénéficient de la gratuité si les critères de rythme sont respectés,
  • les radiologues ne sont rémunérés que s'ils transmettent les clichés et des informations d'identité à un centre de référence.

Il conviendra de trancher, hors du cadre de ce rapport, sur la question de la prise en charge des femmes de moins de 50 ans qui souhaitent bénéficier d'une mammographie à visée non diagnostique et de l'intérêt d'un recueil de données épidémiologiques relatives aux cancers survenant chez ces mêmes femmes. Le codage des actes devra sans doute y aider.


*** Il n'entre pas dans le cadre du présent rapport de discuter de la place respective de l'Etat, de l'assurance maladie ou des mutuelles et des assurances privées dans ce financement, dit "socialisé" pour le différencier d'une prise en charge financière assumée totalement par les patientes.


Les médecins généralistes doivent être formés pour comprendre l'importance du dépistage, et participer aux programmes organisés.
Des actions de formation médicale continue de grande ampleur sont, en effet, nécessaires. On peut également réfléchir à la mise en place d'un mécanisme d'incitation financière, standardisé sur l'âge des patientes, tenant compte du nombre et du rythme des mammographies de dépistage prescrites. Les unions régionales doivent être associées aux actions.

L'ensemble des femmes de la tranche d'âge, indépendamment de leur couverture sociale, doit être visé.
L'objectif de viser et de toucher l'ensemble des femmes de la tranche d'âge entraîne que l'on ne peut pas se contenter d'adresser des invitations aux seules femmes affiliées ou ayants droit du Régime général d'assurance maladie, ou couvertes par certaines mutuelles. Il faut, si l'on souhaite diffuser des invitations, disposer de fichiers provenant de tous les régimes d'assurance maladie, des mutuelles, des organismes d'aide sociale, etc., dans le respect des dispositions légales ou édictées par la Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés. Il convient, par ailleurs, de mettre en place un dispositif pour les femmes de la population-cible qui seraient « hors-listes ».

L'information destinée au grand public et aux femmes de la population-cible doit être quantitativement et qualitativement homogène.
Il faut concevoir à l'échelon national, avec l'aide de professionnels de la communication, de psychologues et de sociologues, une véritable campagne d'information et un plan de communication qui soient aisément adaptables aux spécificités locales de chaque programme mis en place. Il faut dégager les moyens financiers nécessaires à cette action, puis à la réalisation ultérieure, soutenue et répétée de vagues d'information. Des associations de femmes pourraient y participer.


4 - Le niveau organisationnel doit être précisé, au cas par cas, dans l'optique d'une amélioration du dispositif actuel, en tenant compte des particularités géographiques et humaines

Les structures délocalisées (départementales ou régionales) doivent recevoir les moyens adéquats. Elles doivent respecter le cahier des charges, en particulier transmettre les informations de suivi. Deux impératifs, le premier d'allouer des moyens par les partenaires et le second de favoriser la possibilité ou volonté des sites de respecter le cahier des charges, conduiront probablement à faire des choix parmi les programmes départementaux déjà engagés. A priori, les programmes les mieux organisés devraient être privilégiés. Compte tenu des critères avancés, en terme de taux de participation des femmes nécessaire pour qu'une campagne ait un effet, un taux de participation supérieur à 60 %**** pour un programme correctement financé et stabilisé (après une phase de démarrage d'environ trois ans) devrait être exigé.
Dans les secteurs où un programme est organisé, il est nécessaire de mettre en place des structures opérationnelles pérennes, chargées de l'organisation des relectures, de la connaissance du suivi des femmes et plus généralement du pilotage du programme qui inclue la veille sur le respect des procédures d'assurance qualité de la mammographie et de l'anatomo-cytopathologie.
Les partenaires impliqués (représentants des professionnels et des financeurs, c'est-à-dire État, collectivités territoriales concernées, caisses d'assurance maladie, mutuelles, associations non gouvernementales) peuvent éventuellement se fédérer en association. Il faut, cependant, distinguer et séparer la réunion de partenaires de la structure opérationnelle. Gestionnaire du programme, celle-ci est mandatée et financée, contractuellement, sur une durée suffisante, correspondant à plusieurs vagues de dépistage (de six à neuf ans par exemple).

Au-delà du cahier des charges actuel, qui pose les principes d'organisation d'une campagne, il faut concevoir un cahier des charges opérationnel qui définisse les missions, les moyens d’action et le financement contractuel pluriannuel de ces structures délocalisées de pilotage et de suivi. Les structures peuvent être légères, mais il faut insister sur l’emploi de personnels rémunérés. Ces structures sont chargées de l’organisation de la campagne (en particulier l'organisation de la seconde lecture des clichés par des experts qui est fondamentale) et du suivi des femmes. Elles recueillent, analysent, transmettent au Comité national de pilotage et aux différents partenaires, les indicateurs de fonctionnement de la campagne. Elles ont autorité pour définir, sur des critères objectifs énoncés au contrat, la liste des centres de radiologie agréés. Les demandes de réalisation de nouveaux clichés en cas de mauvaise qualité technique s'imposent aux radiologues, etc. Elles travaillent éventuellement en partenariat avec les organismes existants (ORS, Registres...).
Les techniques de télétransmission favoriseront certainement le fonctionnement de telles structures : à terme, peut-être, pour la télétransmission des images (actuellement encore inadaptée aux exigences de qualité des clichés de la mammographie de dépistage) mais qui évoluent rapidement et sont d'ores et déjà adaptées à la transmission des données de suivi.


**** En l'absence de tout dépistage "spontané"


5 - Le suivi et l'évaluation doivent être développés

Il faut mettre en œ uvre, à chaque échelon, un véritable dispositif de pilotage et d'évaluation internes du programme, et définir plus précisément les procédures et les instances décisionnelles.
Les indicateurs de déroulement et de suivi du programme de chaque « unité » départementale ou régionale, définis dans le cahier des charges, doivent être recueillis et analysés tant au sein de chaque structure que par la cellule de gestion du programme, qui doit être dotée des moyens suffisants.
Le Comité national de pilotage, organe où siège l'ensemble des partenaires concernés, y compris des représentants des usagers, doit être doté de pouvoirs permettant - au terme de procédures et à l'aide de critères qui devront être explicités - de mettre fin à tout programme départemental ou régional inefficace et d'autoriser toute nouvelle mise en œ uvre. S'il revient in fine au ministre d'exercer la plénitude de ses prérogatives de puissance publique, cela devrait se faire sur avis conforme et motivé du Comité de pilotage.

La place des Registres spécialisés dans le suivi du PNDS doit être précisée.
Le suivi des femmes étant un élément essentiel pour apprécier l'impact d'une campagne de dépistage, la place des registres du cancer***** mérite d'être précisée. La généralisation du PNDS impose, en effet, de recueillir des données de morbidité et de mortalité par cancer du sein pour l'ensemble des femmes de la tranche d'âge considérée, qu'elles aient ou non participé à la campagne. Le Comité national des registres (CNR) souhaite ne pas multiplier les registres spécialisés, afin de ne pas diluer les énergies et les moyens financiers. Il a, cependant, constaté et regrette la sous-utilisation des résultats des registres existants. La multiplication de registres ne semble pas adaptée au besoin d'indicateurs de morbidité et de mortalité nécessaires au suivi du PNDS. Mais il faut tenir compte des résultats fournis par ceux qui existent dans les départements où se déroule une campagne de dépistage du cancer du sein. Un des exemples est le cas du Bas Rhin (53).
Les indicateurs de diminution de mortalité, permettant de mesurer l'efficacité à moyen et long terme, pourraient être recueillis que sur un petit nombre de sites. Il faut en tout cas, lorsqu'il n’y pas de registre (ce qui est le cas le plus fréquent) définir les modalités de recueil d’informations pertinentes concernant tant les femmes dépistées que les cancers du sein en général. Un fichier d'examens anatomopathologiques du sein serait un recueil minimum d'informations utile.

Des recherches psychosociologiques et des études économiques devraient être mises en œuvre.
En raison du poids que représentent les facteurs sociologiques dans les actions de prévention, les intégrer dans la démarche ne peut que contribuer à permettre une véritable évaluation et par suite une meilleure allocation des ressources. Mais on manque encore de données françaises pour apprécier les effets psychologiques des campagnes de dépistage. De même, le rôle des modalités d'invitation (presse, lettres de convocation ou d'invitation, rôle des médecins traitants...) sur l'adhésion des femmes n'a pas encore été étudié en France.
En particulier, la prise en considération des représentations des femmes, de leurs habitudes culturelles, de leur recours à l'appareil sanitaire, de leur disponibilité, en fonction de leur travail et de leur milieu social, pour des consultations de dépistage, peut être particulièrement précieuse. Des études françaises sur les effets psychosociologiques du dépistage, le rôle des différentes modalités de sensibilisation et d'invitation des femmes dans leur attitude vis à vis des campagnes, les attitudes et stratégies des acteurs intéressés par les programmes, seraient bienvenues.

Il faut également réaliser de véritables études prospectives de type coût/efficacité, car les études étrangères ne sont pas utilisables en termes de décision dans le système français.


***** Un registre est, selon la définition du Comité National des Registres (CNR), "un recueil continu et exhaustif de données nominatives intéressant un ou plusieurs événements de santé dans une population géographiquement définie, à des fins de recherche et de santé publique, par une équipe ayant les compétences appropriées."


Conclusion

La situation française en matière de dépistage du cancer du sein est inégalitaire, et doit être améliorée. Alors que l'on connaît l'efficacité du dépistage systématique de ce cancer par mammographie pour en réduire la mortalité relative chez les femmes de 50 à 69 ans, dans des conditions rigoureuses de réalisation, il existe dans l'ensemble des départements français un dépistage « spontané », financé par l'assurance maladie, quantitativement important et coûteux, dont on sait qu'il touche prioritairement les femmes hors cible et sur la qualité et l'utilité duquel on ne dispose d'aucune information. Dans vingt départements, il existe bien un programme de dépistage systématique organisé mais le taux de participation des femmes visées est, pour la majorité de ces départements, insuffisant pour espérer une efficacité en terme de santé publique. Ce programme, qui repose largement sur l'implication bénévole et le dynamisme des professionnels de santé des départements concernés et de quelques experts nationaux, a le mérite d'avoir permis la rédaction d'un cahier des charges globalement performant et l'expérimentation de modalités d'organisation. Toutefois, il souffre d'un certain manque de rigueur dans sa mise en œ uvre et de difficultés récurrentes de financement. Ces difficultés sont liées en partie à la répartition des compétences, entre l'État et les collectivités territoriales départementales, en matière de dépistage et à leur engagement financier respectif qui n'est pas à la hauteur des enjeux sociaux et de santé publique du programme.

Parallèlement à la généralisation progressive du dépistage systématique organisé, géré et évalué par des structures professionnelles liées contractuellement aux promoteurs et aux professionnels de santé impliqués, il faut mettre en œ uvre, des dispositions particulières d'encadrement, d'amélioration, et d'évolution du dépistage spontané (mesures institutionnelles, financières, professionnelles, et d'information auprès des femmes). Les femmes susceptibles de tirer avantage du dépistage du cancer du sein doivent pouvoir bénéficier de la meilleure qualité possible, associée à une utilisation optimale des ressources financières disponibles et à une évaluation rigoureuse du dispositif mis en place.

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