Place de la mammographie numérique dans le dépistage organisé du cancer du sein

Recommandation en santé publique
Recommandation en santé publique - Mis en ligne le 15 déc. 2006

Le présent rapport établit dans un premier temps si les systèmes de mammographie numérique peuvent être autorisés dans le cadre précis du dépistage organisé, sur des critères d’efficacité et de sécurité pour les femmes dépistées. Dans un deuxième temps, le rapport évalue la faisabilité de différents scenarii d’introduction de la mammographie numérique dans le dépistage organisé français, sur des critères techniques, organisationnels et économiques.

 

Synthèse et perspectives

Introduction

Depuis 2004, l’ensemble des départements français participe au dépistage organisé du cancer du sein. Le dépistage est aujourd’hui proposé aux femmes âgées de 50 à 74 ans, tous les deux ans. L’examen comporte une mammographie des deux seins et un examen clinique.

Deux technologies sont disponibles sur le marché de la mammographie : la technologie analogique et la technologie numérique. Seule la technologie analogique est aujourd’hui autorisée en France dans le cadre du dépistage organisé du cancer du sein.

En juin 2004, la Haute Autorité de Santé a été saisie par la Direction Générale de la Santé (DGS) et la Société Française de Radiologie (SFR) pour réévaluer la place de la mammographie numérique dans le dépistage organisé du cancer du sein, dès que les premiers résultats d’un vaste essai nord-américain seraient parus (étude DMIST, septembre 2005).

Le présent rapport établit dans un premier temps si les systèmes de mammographie numérique peuvent être autorisés dans le cadre précis du dépistage organisé, sur des critères d’efficacité et de sécurité pour les femmes dépistées. Dans un deuxième temps, le rapport évalue la faisabilité de différents scénarii d’introduction de la mammographie numérique dans le dépistage organisé, sur des critères techniques, organisationnels et économiques.


Méthode

La méthode de travail de la HAS repose sur l’analyse de la littérature et sur la consultation d’experts, réunis dans le cadre de groupes de travail ou consultés par écrit dans le cadre d’un groupe de lecture. Deux groupes de travail ont été réunis : un groupe de travail principalement constitué de professionnels médicaux et un groupe de travail composé de techniciens. Les principales sociétés savantes concernées par le sujet ont été consultées afin qu’elles proposent des experts susceptibles de participer à ces deux groupes.

Des visites sur site et des auditions ont également été menées auprès de structures de gestion, de cabinets de radiologie et auprès d’industriels et de fournisseurs d’accès aux réseaux de téléphonie. Deux enquêtes ont été réalisées : l’une auprès des industriels pour recueillir les tarifs ; l’autre auprès des structures de gestion et de l’Observatoire de sénologie pour recueillir les volumes d’activité des cabinets de radiologie.


Résultats

Les avantages de santé attendus

  • La technologie numérique permet-elle d’améliorer la performance interne de l’examen mammographique chez des femmes asymptomatiques ?
    Chez les femmes asymptomatiques de plus de 40 ans, les études démontrent que les deux technologies offrent une performance interne équivalente de l’examen mammographique tous cancers confondus (indicateur de l’aire sous la courbe ROC). L’étude DMIST montre que la mammographie numérique est plus sensible que la mammographie analogique dans le groupe des moins de 50 ans, dans le groupe des femmes pré ou péri ménopausées et dans le groupe des seins à densité hétérogène ou extrême (différence peu significative).
    Pour les femmes de 50 ans et plus, l’étude DMIST démontre une performance interne égale entre les deux technologies, tous cancers confondus. Aucune analyse statistique en sous-groupe n’a été publiée sur cette population, ce qui aurait permis d’affiner les résultats en fonction de la densité des seins ou du stade de ménopause.
  • La technologie numérique permet-elle d’augmenter le nombre de cancers détectés ?
    Aucune différence significative sur les taux de détection de cancers n’a pu être démontrée entre les deux techniques sur l’ensemble des femmes asymptomatiques de plus de 40 ans dépistées, mais aucune étude n’atteint une puissance statistique suffisante sur cet indicateur.
    Aucune étude prospective ou modélisation n’a été publiée sur le critère de mortalité dans le cadre d’un dépistage reposant sur un système de mammographie numérique.
  • La technologie numérique permet-elle de réduire la dose de rayonnement ?
    La dose de rayonnement est variable selon le matériel utilisé et selon l’utilisateur. Les constructeurs de matériel de mammographie numérique ont pour objectif de diminuer les doses de radiation, sur une exposition unique et à qualité d’image équivalente. Les données disponibles vont dans ce sens, sous réserve d’un contrôle continu de la qualité et de la dose, même si elles devraient être consolidées.
  • La technologie numérique permet-elle de réduire les examens complémentaires ?
    Les études publiées ne permettent pas de comparer les technologies analogiques et numériques sur les taux d’examens complémentaires car les différences observées peuvent être dues à des différences contextuelles sans lien avec la technologie (organisation du dépistage, contexte médico-légal, expérience des lecteurs, disponibilité de l’échographe, etc.).


Les avantages organisationnels attendus

  • La littérature associe à la mammographie numérique plusieurs avantages organisationnels, dont les principaux sont les facilités de transmission et de stockage des images, l’utilisation des logiciels d’aide à la détection et l’impact sur la durée de l’examen.
  • La transmission des dossiers
    La transmission d’images sur film dans un système de dépistage qui prévoit une seconde lecture centralisée au sein des structures de gestion, comme c’est le cas en France, génère un fonctionnement sous-optimal (délai de réponse à la patiente trop long, risque de dossiers égarés, coût).
    L’intérêt de la télétransmission des dossiers, avec un système d’information évitant les saisies multiples des fiches d’interprétation, est évident dans ce contexte, mais son opérationalité et son coût restent à évaluer. En particulier, la transmission des images soulève des difficultés liées à la compatibilité entre des matériels et logiciels issus de constructeurs différents. Par ailleurs, le choix du réseau de transmission sur des critères de sécurité, d’efficacité et économiques nécessitera un arbitrage.
  • Le stockage des images
    Le stockage des images est un élément fondamental dans l’efficacité du dépistage. Il est aujourd’hui sous la responsabilité de chaque patiente. La centralisation du stockage permettrait d’améliorer l’accès aux clichés antérieurs (au minimum l’examen antérieur).
    Un avantage secondaire serait la constitution de bases de données servant à la formation des radiologues, à l’évaluation des programmes et à la recherche.

  • L’accès aux logiciels d’aide à la détection
    Les logiciels d’aide à la détection en mammographie (CAD : Computer-aided detection) sont des outils d’alerte, au sens où leur rôle est d’attirer l’attention du radiologue sur de possibles anormalités. Ce sont des options complémentaires à la mammographie numérique. Compte-tenu de l’intérêt limité des études publiées dans le cadre spécifique français et de l’incertitude sur la plus-value d’un CAD en première ou seconde lecture, il est apparu prématuré d’intégrer les CAD dans la réflexion.
  • Le temps de manipulation et d’interprétation
    Le gain de temps de manipulateur radio et de radiologue au niveau de la première lecture n’est pas établi objectivement et une augmentation globale de la productivité des cabinets n’est pas démontrée. En revanche, le gain de temps de secrétariat au niveau de la seconde lecture est potentiellement important.

Les impacts économiques attendus
Le coût d’équipement d’un système analogique complet est en moyenne de 81 200 €, contre 207 000 € pour un système numérique par plaque (270 000 € si on achète le mammographe également) et 373 000 € pour un système numérique plein champ.

En retenant comme hypothèse de travail 280 jours par an, le coût moyen d’un examen mammographique de dépistage pour un cabinet qui réalise 10 examens par jour est de 13,6 € avec le système analogique [11,10 ; 14,90] ; de 25,90 € avec le système par plaque [23,40 ; 27, 75] et de 38,10 € avec le système plein champ [25,40 ; 50].

Les données connues à ce jour permettent donc d’anticiper un surcoût d’équipement pour la majorité des cabinets de radiologie compte-tenu de l’éclatement de l’offre, même en tenant compte d’un potentiel gain en termes d’organisation et de productivité (modification de l’activité, réduction des charges salariales).

En revanche, des postes importants de dépenses pourraient être économisés au niveau des structures de gestion sur le transport des dossiers et sur le secrétariat.

 

La place de la mammographie numérique dans le dépistage organisé du cancer du sein

A court terme
Les membres des groupes de travail recommandent l’autorisation de la mammographie numérique en L1, sous réserve du respect du contrôle qualité prévu par l’AFSSAPS, avec une seconde lecture sur film (hard-copy).

L’avantage de ce scénario est qu’il peut être opérationnel dans un délai relativement court sur le plan technique et organisationnel, et qu’il peut être réalisé sans investissement public. Il nécessite cependant deux documents préalables.

1. Un avenant spécifique à la mammographie numérique doit compléter le cahier des charges, même si celui-ci n’est pas fondamentalement remis en cause. Il devra en particulier préciser :

  • les modalités de la formation initiale et continue ;
  • les modalités de l’évaluation du dépistage afin de comparer le fonctionnement avec les deux technologies en situation réelle ;
  • le contenu du compte-rendu ;
  • la nature des images envoyées à la structure de gestion ;
  • la place du CAD dans le dépistage.


2. Des recommandations sur les spécifications techniques du reprographe laser et des films devront être rédigées (format du film imprimé, films spécifiques pour la mammographie, taille du pixel d’impression au moins égal à la taille du pixel d’acquisition, etc.).

Soulignons que ce scénario ne permet pas de bénéficier des avantages potentiels associés à la mammographie numérique (transfert et archivage). Ce scénario ne peut donc être conçu qu’à titre transitoire.

Perspective
Seule la numérisation de l’ensemble de la chaîne mammographique entre première et seconde lectures permet d’envisager les avantages du numérique en termes de transmission (saisie unique des fiches d’interprétation, pas de manipulation des films pour lecture, transport des images plus rapide et économique) et d’archivage (disponibilité des examens antérieurs). Cette solution ne peut cependant pas être mise en œuvre dans l’immédiat.

Premièrement, elle soulève des difficultés techniques qui ne sont à ce jour pas résolues. Avant de décider de la mise en œuvre d’une solution numérique, plusieurs points devront faire l’objet d’une analyse de faisabilité technique et économique, soit parce qu’ils soulèvent des difficultés qui peuvent être un frein à la mise en œuvre de la seconde lecture numérique, soit parce qu’il existe plusieurs alternatives entre lesquelles il faudra choisir : les réseaux de transmission, les solutions de sécurisation, l’archivage et la compatibilité multi-constructeur des différents éléments appartenant à la chaîne numérique.

Deuxièmement, elle peut impliquer la remise en question non consensuelle d’un principe fondamental de l’organisation actuelle du dépistage : la double lecture centralisée au sein de la structure de gestion. Une concertation avec les professionnels est nécessaire avant de décider de la mise en oeuvre d’une seconde lecture délocalisée, c’est-à-dire réalisée en dehors de la structure de gestion.


Recommandation de la Haute Autorité de santé

Le programme de dépistage français prévoit actuellement un examen clinique des seins et une mammographie analogique, tous les deux ans, pour toutes les femmes âgées de 50 à 74 ans. Les clichés jugés normaux ou bénins par le radiologue 1er lecteur sont adressés pour une seconde lecture à la structure de gestion en charge de la mise en œuvre du dépistage au niveau départemental ou régional. Cette seconde lecture est réalisée au sein de chaque structure de gestion. Seuls les mammographes analogiques sont actuellement autorisés dans le programme de dépistage, conformément à l’avis rendu par l’Anaes en 2000. A la suite de la publication d’un vaste essai nord-américain portant sur la comparaison des technologies analogique et numérique, la HAS a été chargée d’évaluer la place qui pourrait être réservée à la mammographie numérique dans ce contexte.

La HAS pose comme une condition nécessaire que toute la chaîne mammographique, depuis l’appareillage et le détecteur jusqu’à l’imprimante laser, satisfasse au contrôle de qualité défini par l’AFSSAPS pour être susceptible d’être concernée par le présent avis.

L’analyse critique de la littérature scientifique montre que les technologies analogique et numérique, dans un contexte de dépistage, ne diffèrent pas quant à leur capacité à discriminer les seins présentant une anomalie et les seins sans anomalie. En conséquence, la Haute Autorité de Santé considère que rien ne s’oppose à l’introduction de la mammographie numérique dans le dépistage organisé.

Pour autant, toutes les conditions techniques, organisationnelles et économiques, de la numérisation de l’intégralité de la procédure de dépistage ne sont pas actuellement réunies. La HAS propose donc une étape transitoire, avec l’introduction de la mammographie numérique au niveau de la première lecture sans que l’organisation actuelle de la seconde lecture ne soit modifiée. Cela implique que les radiologues premiers lecteurs éditent les examens numériques sur films, lesquels seront adressés pour seconde lecture aux structures de gestion, selon les préconisations du cahier des charges en vigueur.

Pour permettre de sortir de cette période transitoire, la Haute Autorité de santé recommande de surcroît qu’une démarche de concertation avec les professionnels impliqués dans le dépistage et les industriels soit initiée dans les meilleurs délais pour garantir les conditions techniques de la numérisation pour la seconde lecture et pour préciser les conséquences sur l’organisation du dépistage. Une estimation du coût et des bénéfices attendus de la numérisation de la seconde lecture est indispensable, une fois que les freins techniques et organisationnels seront levés.

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