Développement professionnel continu (DPC)
Juin 2017
La gestion des riques en équipe est une méthode de gestion des risques. Elle permet aussi de réaliser des actions d’évaluation et d’amélioration des pratiques et de formation.
Les enquêtes françaises ENEIS de 2005 et 2009 montrent que les événements indésirables associés aux soins (EIAS)1 sont fréquents. Ces études mettent en évidence une fréquence stable d’environ 1 événement indésirable grave (EIG) tous les 5 jours par secteur de 30 lits, et 4,5 % des séjours en établissement de santé causés par un EIG2,3. Une enquête menée par l’IRDES4 en 2011 estime à 700 millions d’euros, pour la seule année 2007, le coût des EIG en France. La sécurité5 des patients s’impose donc comme un axe majeur de santé publique.
Depuis 1990, les travaux de James Reason6 ont progressivement fait évoluer la gestion des risques vers une analyse approfondie des EIAS et la prise en compte du contexte organisationnel et technique dans lequel les soins ont été délivrés. Cette approche internationale, moins culpabilisante, ouvre ainsi la perspective de pouvoir apprendre et agir sur les erreurs qui surviennent.
Charles Vincent7 renforce efficacement cette approche en associant les professionnels de santé à cette démarche d’identification, d’analyse et de correction des EIAS. En effet, des défaillances au niveau du fonctionnement en équipe sont fréquemment mises en évidence lors de la survenue d’EIAS, qu’il s’agisse d’un défaut d’organisation, de contrôle mutuel, de coordination ou de communication au sein du collectif de travail8,9.
Ainsi, la qualité du travail en équipe impacte directement la sécurité du patient10,11,12 et l’amélioration du travail en équipe permet de faire progresser la qualité et la sécurité des soins13,14.
Définition
- La gestion des risques a pour but de diminuer le risque de survenue d’EIAS et la gravité de leurs conséquences. C’est une démarche continue d’amélioration de la sécurité des patients associant :
- organisation de la démarche ;
- identification, analyse et hiérarchisation des risques ;
- élaboration d’un plan d’actions à mettre en œuvre, à suivre et à évaluer ;
- capitalisation et partage d’expérience entre professionnels.
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Une équipe est composée de plusieurs professionnels de santé qui collaborent, s’entraident et se coordonnent pour atteindre des objectifs partagés, centrés sur la prise en charge du patient, et dont ils se sentent collectivement responsables.
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Ce sont ces objectifs partagés qui déterminent naturellement le périmètre de l’équipe. Ainsi, cette équipe peut être de taille limitée (quelques personnes dans un secteur d’activité précis) ou concerner plusieurs secteurs d’activité (urgences, blocs opératoires, etc.) d’un même établissement, voire tous les intervenants autour du parcours d’un patient (ville-hôpital, etc.).
Variantes / méthodes apparentées
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Monoprofessionnelle : l’accréditation des équipes médicales d’une même spécialité (décret n° 2006-909 du 21 juillet 2006) ;
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Pluriprofessionnelle : les projets d’équipe PACTE (programme d’amélioration continue du travail en équipe).
Description
Dans le cadre de ce programme la démarche comporte trois temps.
1. Organiser la démarche de gestion des risques en équipe
Engager les acteurs
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L’engagement des managers et des leaders est primordial et doit s’exprimer explicitement et sans ambiguïté. Un temps d’information et de discussion doit être prévu pour décrire l’intérêt de la démarche, exprimer la volonté de sa mise en place et permettre un débat favorisant l’adhésion des professionnels.
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Tous les professionnels appartenant à l’équipe sont concernés et impliqués.
Mettre en place ou faire évoluer l'organisation de la démarche de gestion des risques en équipe
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Une organisation prenant en compte cette démarche de gestion des risques en équipe (cf. infra : 2 et 3) et adaptée au secteur d’activité est discutée, élaborée et mise en œuvre. Les ressources et les temps nécessaires sont prévus.
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N.B. : L’équipe peut solliciter appui et soutien, par exemple pour :
- la mise en place de la démarche ;
- le recueil et l’analyse des EIAS. Cela peut prendre la forme d’une aide méthodologique, d’aide à la formation des professionnels, etc. ;
- l’élaboration, la mise en œuvre et le suivi d’actions, de plans (ou de procédures) d’amélioration de la qualité et/ou de la sécurité suite à l’analyse d’un EIAS. Ces actions peuvent être définies par l’équipe ou relever de recommandations d’une spécialité ou d’organisations professionnelles dont dépend l’équipe.
En établissement de santé La démarche de l’équipe n’est pas isolée et elle est cohérente et synergique avec le projet qualité et gestion des risques de l’établissement. Cette démarche intègre les orientations du secteur d’activité, prend en considération les autres démarches situées aux interfaces avec l’équipe et s’enrichit des orientations régionales et nationales en termes de thématique ou de méthodes. La commission médicale d’établissement (CME) joue un rôle important15,16,17 pour mobiliser les professionnels dans une dynamique de gestion des risques en équipe. La CME, en lien avec la commission des soins infirmiers, de rééducation et médico-technique (CSIRMT),communique sur ces projets de gestion des risques en équipe pour inciter les professionnels à s’y engager. Elle favorise ces projets dans leur composante d’analyse des pratiques et d’acquisition des connaissances en facilitant leur intégration dans le plan de développement professionnel continu (DPC) de l’établissement et dans le programme d’amélioration de la qualité et de la sécurité élaboré annuellement par la CME. |
- Un document organisationnel18 permet d’identifier et de décrire cette phase. On doit au minimum y retrouver :
- l’engagement de l’équipe et de la gouvernance19 à mettre en œuvre le programme de gestion des risques en équipe ;
- un référent : pour faciliter la démarche entreprise, un référent de l’équipe est identifié20. Il assure l’interface entre la gouvernance et l’ensemble des personnels médicaux et paramédicaux de l’équipe ;
- la description de l’équipe : son activité, sa composition, le rôle et la responsabilité de chacun ;
- une organisation en place : elle est adaptée au secteur d’activité (description de l’organisation et de ses modalités).
2. Analyser en équipe les risques identifiés dans les pratiques professionnelles
La démarche s’organise en plusieurs étapes successives.
Identifier et analyser les risques
Cela est réalisé par l’équipe en associant une réflexion a priori sur les risques (que pourrait-il se passer ?) et une analyse a posteriori des EIAS qui sont survenus (que s’est-il passé ?). Les deux approches sont complémentaires et permettent d’orienter les actions à mettre en œuvre et d’établir une vigilance sur les risques. Selon le contexte rencontré, l’équipe peut débuter sa démarche par l’une ou l’autre des approches présentées ci-dessous.
Une approche a priori
L’approche a priori (ou proactive) permet d’anticiper au maximum la survenue d’événements indésirables éventuels, en se demandant ce qui pourrait mal se passer lors de la prise en charge des patients.
La connaissance des risques acquise par l’expérience des professionnels de santé ainsi qu’une abondante littérature disponible dans ce domaine permettent aux équipes, en analysant les processus de prise en charge des patients, d’identifier a priori les risques potentiels ou les situations à risque (= situation où la probabilité de survenue d’un EIAS est augmentée).
Cette activité permet également de décrire et de partager une vision commune des prises en charge et des mesures de sécurité déjà existantes (barrières). La démarche a priori favorise ainsi une meilleure compréhension des processus de soins et des barrières en place.
Une approche a posteriori
L’approche a posteriori (ou réactive) permet, en présence d’événements indésirables survenus ou qui auraient pu survenir, de s’interroger sur ce qui s’est passé.
La complexité des soins, la mobilité du personnel, les changements concernant l’organisation, les pratiques, ou les matériels, ainsi que la diversité des patients ou des situations cliniques rencontrées, font qu’une organisation n’est jamais statique mais se modifie régulièrement, et peuvent créer des défauts insoupçonnés dans la sécurité de la prise en charge. Une surveillance et une analyse des événements indésirables qui surviennent (dite a posteriori) permettent de révéler, comprendre et traiter ces dysfonctionnements.
La démarche s’appuie sur les concepts et les méthodes issues de l’analyse systémique. Notamment l’utilisation systématique d’une grille de questionnement (grille de type ALARM, par exemple) permet aux équipes de ne pas s’arrêter à une analyse superficielle, centrée sur la cause immédiate, mais d’investiguer les causes profondes qui ont contribué à la survenue de l’EIAS. La démarche a posteriori est continue et permet de révéler des risques et des barrières défaillantes.
Note : Une RMM (approche a posteriori) déjà mise en place peut être un excellent point de départ pour une démarche de gestion des risques en équipe. Mais il est important d’identifier également des risques potentiels afin de les maîtriser et donc d’associer une approche a priori.
Traiter les risques identifiés
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Quelle que soit l’approche considérée (a priori ou a posteriori), l’analyse des risques identifiés se poursuit par leur hiérarchisation, afin de prioriser les actions à mener pour traiter en priorité les risques jugés non acceptables pour le patient.
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L’équipe élabore un plan d’actions qui décrit les solutions (appelées aussi barrières) chargées d’empêcher la survenue des événements indésirables redoutés (barrières de prévention) ou à défaut d’en limiter les conséquences (on parle alors de barrières de récupération et d’atténuation). Des actions correctives, y compris le réajustement des pratiques individuelles et collectives au regard des recommandations et de l’état de l’art, sont mises en œuvre, elles peuvent comporter des changements organisationnels et des formations.
Analyser l'impact des mesures prises et assurer un retour d'expérience
Il convient d’assurer le suivi de la démarche dont notamment les risques résiduels, et de mettre en place un retour d’expérience en partageant entre professionnels les enseignements retirés de cette démarche. Puis de nouvelles situations à risque émergeront qui nécessiteront à leur tour une approche a priori (analyse du processus concerné) et a posteriori (suivi et analyse des EIAS survenus).
Un bilan annuel de l’activité d’analyse en équipe des risques rencontrés dans les pratiques est réalisé. Il contient par exemple :
les comptes rendus des réunions et les listes d’émargement, les fiches des actions entreprises et le nombre de déclarations éventuelles, ainsi que tout document justificatif témoignant des actions entreprises (rapport d’audit, résultats d’indicateurs, document d’analyse des risques a priori, plan d’actions, fiche de suivi, etc...).
3. Acquérir ou perfectionner des connaissances et/ou des compétences
Ces activités sont complémentaires des activités d’analyse des pratiques professionnelles précédentes. Elles peuvent être réalisées avant, pendant ou après celles-ci et sont planifiées. Elles comportent : un temps dédié à la formation, des objectifs et des supports pédagogiques, un temps d’échange entre les participants et une évaluation de l’acquisition des connaissances/compétences avec restitution des résultats aux professionnels.
- Elles doivent être en relation avec la démarche de gestion des risques de l’équipe et permettre :
- d’acquérir ou de perfectionner des connaissances/compétences à propos de thèmes identifiés lors de l’analyse des risques. Cela peut concerner des aspects techniques, professionnels ou organisationnels de la prise en charge et des soins délivrés aux patients.
- Elles peuvent en plus permettre :
- de renforcer et d’améliorer le travail en équipe en ciblant les facteurs de performance non techniques de l’équipe (coordination, communication, gestion du stress, etc.). Par exemple, par des formations spécifiques au travail en équipe, aux facteurs humains, par des séances de simulation sur ce thème, ou encore par l’appropriation d’outils de communication interprofessionnels, etc. ;
- et/ou de promouvoir la culture de sécurité. La réalisation d’une enquête « culture de sécurité » menée auprès des membres de l’équipe est conseillée. Elle permet d’améliorer la connaissance de l’équipe sur sa perception à propos de la sécurité des soins. À l’issue de celle-ci, un temps de discussion de l’équipe sur les résultats obtenus et les éventuelles actions à mener doit être prévu. L’enquête peut être répétée au cours du temps ;
- et/ou de se former aux méthodes et outils de gestion des risques. À titre d’exemple : apprentissage de méthode d’analyse systémique des EIAS (de type ALARM), de visite de risque, de méthode a priori (analyse des modes de défaillance AMDE), etc.
Un bilan annuel de ces activités d’acquisition ou de perfectionnement des connaissances/compétences est réalisé qui comporte l’identification des activités réalisées, le temps passé et les participants présents.
Documentation
Les documents suivants sont requis.
Documents supports
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Document qui décrit l’équipe et l’organisation mise en place.
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Synthèse annuelle de la démarche de gestion des risques en équipe.
Documents de traçabilité
Pour chaque professionnel de santé engagé dans le projet, il est demandé d’assurer la traçabilité de ses actions en gardant tous les documents justificatifs individuels (par exemple : attestation de présence à une formation, compte rendu avec liste de présence, etc.).
En savoir plus
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Haute Autorité de santé. Guide méthodologique – Revue de mortalité-morbidité. Juin 2009.
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Haute Autorité de santé. Culture de sécurité : du concept à la pratique. Décembre 2010.
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Article L. 4021-1 du CSP.
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Haute Autorité de santé. Sécurité du patient : travailler en équipe. Juillet 2014.
1. On appelle EIAS un événement défavorable survenant chez un patient, quelles qu’en soient la gravité et la nature, consécutif aux stratégies et actes de diagnostic, de traitement, de soins, de prévention ou de réhabilitation. Il s’agit d’un événement qui s’écarte des résultats escomptés et qui n’est pas lié à l’évolution naturelle de la maladie. Ces événements peuvent être plus ou moins graves et aller d’un simple événement porteur de risque (EPR) jusqu’à un événement indésirable grave (EIG).
2. Michel P, Minodier C, Lathelize M, Moty-Monnereau C, Domecq D, Chaleix M, et al. Les événements indésirables graves associés aux soins observés dans les établissements de santé. Résultats des enquêtes nationales menées en 2009 et 2004. Dossiers Solidarité et Santé 2010;(17).
3. Michel P, Minodier C, Lathelize M, Moty-Monnereau C, Domecq D, Chaleix M, et al. Les événements indésirables graves dans les établissements de santé : fréquence, évitabilité et acceptabilité. Études et Résultats 2011;(761).
4. Nestrigue C, Or Z. Surcoût des événements indésirables associés aux soins à l’hôpital. Questions Econ Santé 2011 ;(171).
5. La sécurité des patients (OMS, 2009) se définit par la réduction à un niveau acceptable des risques d’événements indésirables associés aux soins (EIAS) et liés aux prises en charge par le système de santé.
6. Reason J. Human error: models and management. BMJ 2000;320:768-70.
7. Vincent C. Reporting and learning systems. In: Patient safety. Oxford: Wiley-Blackwell ed; second edition, 2010:76-95.
8. Joint Commission. Preventing infant death and injury during delivery. Sentinel Event Alert 2004;(30).
9. Gawande AA, Zinner MJ, Studdert DM, Brennan TA. Analysis of errors reported by surgeons at three teaching hospitals. Surgery 2003;133(6): 614-21.
10. Manser T. Teamwork and patient safety in dynamic domains of healthcare: a review of the literature. Acta Anaesthesiol Scand 2009; 53(2):143-51.
11. Schmutz J, Manser T. Do team processes really have an effect on clinical performance? A systematic literature review. Br J Anaesth 2013;110(4): 529-44.
12. Agency for Healthcare Research and Quality. Medical teamwork and patient safety: the evidence-based relation.AHRQ 2005.
13. Salas E, DiazGranados D, Klein C, Burke CS, Stagl KC, Goodwin GF, et al. Does team training improve team performance? A meta-analysis. Hum Factors 2008 ;50(6):903-33.
14. Neily J, Mills PD, Young-Xu Y, Carney BT, West P, Berger DH, et al. Association between implementation of a medical team training program and surgical mortality. JAMA 2010; 304(15):1693-700.
15. Décret n° 2010-439 relatif à la commission médicale d’établissement dans les établissements publics de santé.
16. Décret n° 2010-1325 relatif à la conférence médicale d’établissement des établissements de santé privés.
17. Décret n° 2010-1408 relatif à la lutte contre les événements indésirables associés aux soins dans les établissements de santé.
18. Ce document organisationnel peut prendre un format variable mais toujours adapté au secteur d’activité (projet d’équipe, de service, etc.).
19. Par exemple, en établissement de santé, il peut s’agir du directeur et du président de CME.
20. Lorsque l’équipe comporte des médecins et des professionnels paramédicaux, il est souhaitable qu’un binôme soit constitué, composé d’un médecin et d’un professionnel paramédical.