Actualisation de la revue de la littérature d’une recommandation en santé publique sur la « Détection précoce du mélanome cutané »

Rapport d’orientation : Facteurs de retard au diagnostic du mélanome cutané
Recommandation en santé publique - Mis en ligne le 25 janv. 2013

La Haute Autorité de santé (HAS) et l’INCa se sont associés dans un travail d’actualisation de la littérature faisant suite au rapport HAS 2006 sur la Détection précoce du mélanome cutané et des enquêtes de pratique auprès des professionnels de santé afin de redéfinir les facteurs de risque de mélanome cutané et le parcours de soins optimal pour la détection précoce de ce cancer cutané.

 

Le mélanome cutané est observé dans toutes les catégories d’âge, de l’enfance à un âge avancé, et le pic d’incidence se situe entre 50 et 64 ans chez l’homme et entre 15 et 64 ans chez la femme. Sa détection précoce est la meilleure chance de guérison, car elle permet d’intervenir avant la phase d’extension métastatique. Seul le diagnostic de mélanome cutané in situ (stade précoce du mélanome cutané) et de mélanome cutané de faible épaisseur (mesuré par l’indice de Breslow) pourrait permettre de diminuer la mortalité liée à ce cancer. En effet, le taux de survie à 5 ans se situe entre 91 % et 95 % lorsque l’indice de Breslow est < 1 mm et est de 63-79 % lorsqu’il est compris entre 2 et 4 mm. La recommandation en santé publique ne remet pas en question les conclusions et les préconisations du rapport HAS publié en 2006 sur la Stratégie de diagnostic précoce du mélanome. La détection précoce, avec, entre autres, un parcours de soins identifiant les sujets à risque, est la meilleure chance de guérison du mélanome cutané, car elle permet d’intervenir avant la phase d’extension métastasique. Le rapport d’orientation conclut qu’aucun argument dans la littérature ne permet de présager que la coordination du parcours de soins par le médecin traitant puisse occasionner un éventuel retard au diagnostic du mélanome cutané.

Les messages clés de la HAS et de l’INCa destinés aux professionnels de santé sont les suivants :

  • Le mélanome cutané est rare mais il est le plus grave des cancers de la peau du fait de sa capacité à métastaser. La détection précoce est la meilleure chance de guérison car elle permet d’intervenir avant la phase d’extension métastatique.
  • Il apparaît notamment qu’aucun argument dans la littérature ne vient confirmer l’hypothèse d’un impact du parcours de soins sur un éventuel retard au diagnostic du mélanome cutané.
  • En complément de l’action des dermatologues qui n’ont pas accès à l’ensemble de la population à risque, l’intervention active des médecins traitants dans le système de soins coordonnés français permettra d’améliorer le diagnostic précoce du mélanome cutané en identifiant les sujets à risque et/ou ayant une lésion suspecte.
  • Le risque de mélanome cutané est augmenté chez les sujets :
    • ayant un phototype cutané de type I ou II, une peau claire, des cheveux roux ou blonds, des yeux de couleur claire, des éphélides, de nombreux grains de beauté (nombre > 40), des nævus atypiques, un nævus congénital géant (de diamètre > 20 cm) ;
    • ayant eu des coups de soleil, quel que soit l’âge auquel ils sont survenus ou ayant été soumis aux UV artificiels (notamment avant l’âge de 35 ans) ;
    • ayant des dommages actiniques ou des antécédents personnels ou familiaux de mélanome cutané.
  • Sur l’ensemble de ces facteurs de risque, ceux qui ont le risque relatif le plus élevé sont ceux sur lesquels il n’est pas possible d’agir, étant donné qu’ils sont liés à des caractéristiques phénotypiques ou à des facteurs génétiques du sujet.
  • L’information de la population sur les facteurs de risque de mélanome cutané et la prévention du risque solaire doit être intensifiée, l’exposition solaire ou aux UV artificiels est le seul facteur de risque sur lequel il est possible d’intervenir.


Synthèse et perspectives

La HAS a fait une actualisation de la littérature afin de compléter les données du rapport HAS 2006 sur la stratégie de diagnostic précoce du mélanome cutané. Cette actualisation a été centrée sur l’épidémiologie, les facteurs de risque, la prévention, le diagnostic précoce, les tests diagnostiques, le retard au diagnostic, les mélanomes cutanés à croissance rapide.


Résultats de l’actualisation de la littérature

Épidémiologie du mélanome cutané
Les données épidémiologiques d’actualisation issues des rappports INCa, InVS et Inserm et notamment la projection sur l’année 2011 (issue de modélisations statistiques des données d’incidence observées sur la période 1975-2006) montre que l’incidence estimée du mélanome cutané est de 9 784 cas (taux standardisé à la population mondiale : 9,7 chez l’homme et 10,1 chez la femme/100 000 personnesannées) avec un sex-ratio homme/femme de 0,92. L’âge moyen au moment du diagnostic est de 60 ans chez l’homme et de 58 ans chez la femme. L’augmentation d’incidence observée depuis 1980 s’est ralentie chez l’homme et la femme depuis 2000 et on observe une stabilisation du risque pour les cohortes nées après 1945.
La projection sur l’année 2011 (issue de modélisations statistiques des données de mortalité du CépiDc [Centre d'épidémiologie sur les causes médicales de décès] pour la période 1975-2008 et publiée par l’InVS) estime le nombre de décès liés au mélanome cutané à 903 cas chez l’homme (taux de mortalité standardisé à la population mondiale : 1,7/100 000 personnes années) et à 715 cas chez la femme (taux de mortalité standardisé à la population mondiale : 1,0/100 000 personnesannées). Les mélanomes cutanés identifiés en 2005 étaient de meilleur pronostic, l’épaisseur (indice de Breslow) au moment du diagnostic diminuant au cours des années. 86 % des diagnostics de mélanome cutané ont eu lieu à un stade précoce (stade I-II) pour lequel la survie relative à 5 ans est estimée à 88 %


Recommandations professionnelles

Sur les 5 recommandations identifiées, une seule a été sélectionnée (recommandation néo-zélandaise publiée en 2008) malgré sa qualité méthodologique moyenne. Les données d’analyse de cette recommandation confirment les conclusions du rapport HAS 2006 sur les points suivants :

  • la non-pertinence d’un dépistage en population générale du mélanome (pas de diminution de la mortalité spécifique) ;
  • la toxicité des lampes à bronzer ;
  • la prévention du mélanome par la non-exposition au soleil ;
  • la nécessité d’examiner le revêtement cutané des sujets à haut risque tous les 6 mois.


La recommandation apportait des précisions sur les point suivants :

  • le dépistage du mélanome ne diminue pas la mortalité spécifique liée à ce cancer cutané ;
  • il n’y a pas de preuve que les produits de protection solaire diminuent le risque de mélanome ;
  • les coups de soleil et les dommages actiniques cutanés multiplient le risque de mélanome cutané par 2 ;
  • les UV augmentent le risque de mélanome (risque multiplié par 1,75) notamment si l’exposition a eu lieu avant 35 ans, mais aucun effet/dose n’a pu être démontré ;
  • la dermoscopie a une supériorité égale ou supérieure aux autres techniques d’imagerie.


Méta-analyses
Les 9 méta-analyses sélectionnées parmi les 14 publiées depuis le rapport HAS de 2006 confirment les conclusions de ce rapport quant aux facteurs de risque de mélanome cutané  Ces facteurs de risque sont les suivants :

  • les éphélides : le risque est multiplié par 1,99 ;
  • des cheveux roux ou blonds : le risque est multiplié par 2 ;
  • les yeux de couleur claire (bleus ou gris) : le risque est multiplié par 1,75 ;
  • le phototype : le risque est multiplié par 2,25 pour le phototype I et par 1,99 pour le phototype II ;
  • le nombre de nævus communs (la fraction attribuable est élevée = 42 %) : le risque de mélanome au niveau du torse ou des jambes est multiplié par 1,96 si le nombre est ≥ 40 et par 2,3 si le nombre est ≥ 50 ;
  • le nombre de nævus atypiques ;
  • les dommages actiniques (risque augmenté en cas d’exposition solaire d’intensité forte) ;
  • la présence de kératose actinique (la présence d’une seule lésion de kératose actinique multiplie le risque par 3 pour les mélanomes de la tête, du cou et des membres) ;
  • les antécédents familiaux de mélanome cutané : le risque est multiplié par 2 mais la part des mélanomes liés à ce type d’antécédent est faible (fraction attribuable de 4 %) ;
  • les coups de soleil, quel que soit l’âge auquel ils sont survenus, le risque étant d’autant plus élevé que le nombre de coups de soleil est grand ou que l’exposition solaire a été à un niveau élevé (l’exposition solaire intermittente n’augmente pas le risque de mélanome cutané à l’inverse des expositions solaires intermittentes à des niveaux élevés et/ou les coups de soleil).


Revues systématiques
Les 4 revues systématiques sélectionnées parmi les 11 publiées depuis le rapport HAS 2006 ne remettent pas en cause les conclusions de ce rapport sur les campagnes d’information sur la prévention du mélanome cutané. Elles apportent des précisions sur les points suivants :

  • l’augmentation du risque de mélanome chez les utilisateurs de lampe à bronzer, notamment si l’exposition a eu lieu avant l’âge de 35 ans ;
  • l’augmentation du risque de mélanome chez les enfants ayant un nævus congénital géant, le risque étant corrélé avec le diamètre du nævus dès que ce dernier dépasse 20 cm ;
  • la non-augmentation du risque de mélanome chez les sujets ayant un nævus congénital de petite taille (< 20 cm) ;
  • le faible impact des campagnes d’information sur le risque solaire et la prévention du mélanome cutané, notamment en ce qui concerne la modification des comportements de la population, quel que soit le mode de diffusion des informations de prévention.


Études randomisées
Des 11 études randomisées sélectionnées sur les 30 publiées depuis le rapport HAS 2006 les principaux résultats montrent que  :

  • un mélanome cutané sur deux de grande épaisseur (indice de Breslow > 2 mm) est un mélanome nodulaire. Ce type de mélanome est cependant rare (9,2 % de la totalité des mélanomes cutanés identifiés) ;
  • les mélanomes cutanés des patients ayant eu un dépistage par un médecin dans les 3 ans qui ont précédé la découverte de leur mélanome ont un indice de Breslow plus bas que ceux des patients qui n’ont pas eu d’examen clinique ;
  • les mélanomes cutanés découverts à un stade avancé sont plus fréquemment observés chez les personnes âgées et les veuves qui ont un risque accru de mourir de leur mélanome ;
  • le risque de mélanome cutané chez la femme est augmenté en cas d’endométriose ou de traitement par œstrogènes ;
  • les enfants au teint très clair qui bronzent développent plus de nævus que les enfants qui ne bronzent pas ;
  • l’évaluation des facteurs de risque par autoquestionnaire n’est pas reproductive entre les patients et le dermatologue, remettant en cause l’utilisation d’autoquestionnaires par le patient seul ; en revanche, l’autoévaluation par questionnaire des facteurs de risque de mélanome cutané lors de deux auto-évaluations successives par le même patient est bonne et n’est pas affectée par l’âge, l’éducation ou la couleur de la peau du patient ;
  • l’utilisation de pesticides augmente le risque de mélanome.


Données médico-économiques françaises

Le diagnostic et le traitement des patients ayant un mélanome cutané ont généré :

  • 486 879 actes d’exérèse de lésions superficielles de la peau (pour un mélanome cutané ou toute autre lésion cutanée suspecte, la codification ne permettant pas de différencier les actes d’exérèse pour suspicion de mélanome cutané) ;
  • 32 259 actes de dermoscopie pour les sujets à haut risque (personnes ayant des antécédents familiaux de mélanome cutané et/ou des nævus atypiques et/ou un antécédent personnel de mélanome cutané) ;
  • 11 119 hospitalisations ;
  • 11 596 séances de chimiothérapie ;
  • 1 254 séjours pour soins palliatifs ;
  • 13 129 séjours hospitaliers pour complication liée à un mélanome cutané ;
  • 39 537 mises en ALD.

La prise en charge du mélanome cutané invasif a généré les coûts suivants en 2008 : 42,1 millions pour les hospitalisations, les séances de chimiothérapie, les soins palliatifs et les hospitalisations pour complications et 194,2 millions d’euros pour les patients en ALD pour mélanome cutané (source : données PMSI 2008, tarifs 2008 des actes rembousés par l’Assurance maladie). 


Conclusions de l'actualisation de la littérature

Avec plus de 8 000 nouveaux cas estimés, le mélanome cutané est le plus grave des cancers de la peau. Sa détection précoce permet sa guérison, car elle permet d’intervenir avant la phase d’extension métastasique (forme in situ et mélanome cutané de faible épaisseur). En 2006, pour promouvoir le diagnostic précoce du mélanome cutané, la HAS avait préconisé d’identifier les populations à risque de mélanome cutané. La revue de la littérature n’a mis en évidence aucune nouvelle donnée qui pourrait changer les conclusions de ce rapport. Il est de nouveau recommandé la promotion d’un parcours de soins des patients à risque de mélanome et de renforcer l’information des populations, la formation des médecins, la coordination médecin généraliste-dermatologue. 


Identification des sujets à risque

L’impact des campagnes d’information grand public sur la prévention du risque solaire est faible, quels que soient les moyens utilisés. Si elle améliore de façon significative la connaissance des personnes sur la prévention du mélanome cutané, elle modifie rarement leur comportement vis-à-vis du risque solaire. Les sujets à haut risque de mélanome cutané répondent aux critères suivants :

  • un phototype cutané de type I ou II, une peau claire, des cheveux roux ou blonds, des yeux de couleur claire, des éphélides, de nombreux grains de beauté (nombre > 40), des nævus atypiques, un nævus congénital géant (de diamètre > 20 cm) ;
  • des antécédents de coups de soleil, quel que soit l’âge auquel ils sont survenus, ou des séances d’UV artificiels, notamment avant l’âge de 35 ans ;
  • des dommages actiniques, des antécédents personnels ou familiaux de mélanome cutané.

Sur l’ensemble des facteurs de risque de mélanome cutané, ceux qui ont le risque relatif le plus élevé sont ceux sur lesquels il n’est pas possible d’agir, étant donné qu’ils sont liés à des caractéristiques phénotypiques ou à des facteurs génétiques. Le risque lié à l’exposition solaire ou aux UV artificiels est le seul facteur de risque sur lequel il est possible d’intervenir en sensibilisant les populations à la protection vis-à-vis de ce risque.


Place respective du médecin généraliste et du dermatologue
La stratégie de diagnostic précoce du mélanome cutané telle qu’elle avait été préconisée par la HAS en 2006 reste d’actualité et repose sur  :

  • le patient qui consulte son médecin pour une lésion suspecte ou parce qu’il s’identifie comme étant un sujet à risque de mélanome cutané ;
  • le médecin traitant qui identifie les patients à risque ou qui détecte une lésion cutanée suspecte à l’occasion d’une consultation ;
  • le dermatologue qui confirme ou non la suspicion diagnostique de mélanome cutané.

L’identification des patients à risque peut être réalisée par les médecins généralistes, qui sont des médecins de premier recours. L’information des médecins généralistes et de la population sur les facteurs de risque de mélanome cutané est un élément clé de la stratégie de diagnostic précoce.
En parallèle à l’identification des sujets à risque, la reconnaissance d’une lésion suspecte est un des éléments majeurs dans la détection précoce du mélanome cutané. Les données de la littérature ont montré que la formation des médecins généralistes améliore leur pertinence diagnostique à condition de renouveler à intervalle régulier cette formation.


Perspectives

Sous réserve que les données de la littérature issues d’études non randomisées soient confirmées, il apparaît au regard de leurs résultats que les mélanomes à croissance rapide auraient des caractéristiques de développement différentes des mélanomes à croissance plus lente comme le mélanome SSM (spreading superficial melanoma). Afin d’améliorer le diagnostic précoce de cette forme de mélanome il convient de définir la population de ces sujets à haut risque de mélanome cutané à croissance rapide, d’estimer la taille de cette population et de réfléchir à un parcours de soins optimisé pour ce type de sujets.
Il serait par ailleurs intéressant d’évaluer :

  • le parcours de soins effectif des patients afin de vérifier si ce parcours est un facteur de retard au diagnostic précoce du mélanome cutané ;
  • les ratios mélanome cutané non invasif/mélanome cutané invasif et exérèse d’une lésion cutanée suspecte/mélanome cutané confirmé à l’examen anatomopathologique afin de connaître l’incidence des mélanomes cutanés non invasifs ;
  • l’impact des dépassements d’honoraires mis en évidence par l’analyse des données de coût de prise en charge du mélanome cutané sur l’accès aux soins et sur le retard diagnostique.