Évaluation clinique et économique du dépistage de l’hémochromatose HFE1 en 2004

Recommandation en santé publique - Mis en ligne le 01 avr. 2004 - Mis à jour le 12 déc. 2006

Le rapport Évaluation clinique et économique du dépistage de l’hémochromatose HFE1 en 2004 évalue l’opportunité du dépistage systématique de l’hémochromatose HFE1, maladie génétique à l’origine d’une surcharge chronique en fer, en population générale en 2004 selon les critères de l’OMS (actualisation du rapport d’évaluation ANAES de 1999). L’analyse économique repose sur une analyse critique de la littérature internationale ainsi que sur des simulations économiques de stratégies de dépistage de l’hémochromatose HFE1 qui tiennent compte des particularités françaises.

 

Synthèse et perspectives

Ce document est une actualisation du rapport publié en 1999 par l’Anaes sur le thème de l’évaluation clinique et économique de l’intérêt du dépistage de l’hémochromatose génétique en France à la demande de la Direction générale de la santé et de l’association Hémochromatose France. En 1999, les nombreuses données cliniques manquantes n’avaient pas permis de recommander le dépistage systématique de l’hémochromatose HFE1 en population générale. Depuis ce rapport, une conférence de consensus internationale et des recommandations anglaises et américaines sur la prise en charge, diagnostique et thérapeutique, et le dépistage de l’hémochromatose HFE1 ont été publiées. Leurs conclusions concordaient et aucune recommandation de dépistage systématique en population générale n’était préconisée.

L’évaluation clinique et économique du dépistage de l’hémochromatose HFE1 en 2004 a été réalisée sur la base des critères méthodologiques définis par l’OMS pour la mise en place d’un programme de dépistage. Ces critères ont été déclinés sous forme d’interrogations pour lesquelles une réponse éclairée et argumentée a été proposée. La méthode de travail de l’Anaes est fondée sur l’analyse de la littérature et sur des entretiens avec un groupe de travail de 24 membres. La recherche documentaire a permis de compléter les données du rapport de 1999; l’interrogation des bases Medline, Embase et Pascal a été menée jusqu’en janvier 2004. Environ 750 publications concernant l’hémochromatose ont été identifiées, notamment des études sur la génétique (identification de nouvelles mutations, tests génétiques), des revues de synthèse, des analyses épidémiologiques, des publications sur l’histoire naturelle de la maladie, et des études d’évaluation économique de stratégies de dépistage.


L'histoire naturelle de l'hémochromatose HFE1 est-elle comprise ? 
Existe-t-il un stade latent identifiable ?

Les maladies de surcharge en fer ont des causes multiples : surcharges en fer primitives liées à une anomalie génétique, surcharges en fer secondaires. L’hémochromatose dite génétique est caractérisée par une hétérogénéité génique et allélique et est responsable d’une surcharge chronique en fer d’importance variable.
L’hémochromatose HFE1 est la forme la plus fréquemment rencontrée en France. Elle est liée au génotype C282Y homozygote, de transmission autosomique récessive, de pénétrance incomplète et dont l’expression clinique et biologique est variable. En accord avec le groupe de travail, la maladie génétique pour laquelle la mise en place d’un dépistage systématique est discutée dans ce rapport est l’hémochromatose HFE1.
Depuis 1999, des données nouvelles sont venues améliorer la compréhension de la physiopathologie de l’hémochromatose HFE1, en particulier en ce qui concerne les mécanismes possibles de la surcharge en fer. La maladie évolue en 4 phases à partir de la 3e décennie :

  1.  une phase asymptomatique pendant laquelle la surcharge en fer se constitue ;
  2.  une phase biologique témoignant de la surcharge en fer constituée mais encore cliniquement asymptomatique ;
  3.  une phase symptomatique liée aux effets délétères de l’accumulation progressive de fer dans l’organisme ;
  4. une phase de complications liée à l’atteinte élective d’organes cibles comme le cœur, le foie, le pancréas.

Les études rétrospectives montrent que le diagnostic est difficile et souvent établi avec retard en raison de la grande variabilité de l’expression clinique de la maladie. De ce fait, les complications de l’hémochromatose en l’absence de traitement sont graves : diabète insulinodépendant, cirrhose, carcinome hépatocellulaire et myocardiopathie, toutes responsables d’une surmortalité.


Quelle est l'importance du problème de santé publique en France : Données épidémiologiques, morbi-mortalité, coût dela maladie ?

La prévalence de l’hémochromatose HFE1 a été estimée en 1999 comprise entre 1,6 et 4,6 pour 1 000 dans la population d’origine européenne. La fréquence du génotype C282Y homozygote dans la population générale française rapportée dans les études incluant plus de 200 sujets varie entre 0,2 et 0,8%. Du fait de la pénétrance incomplète du génotype, le nombre exact de malades en France n’est pas connu en 2004. Toutefois, les données publiées depuis 1999 suggèrent que la pénétrance du génotype C282Y homozygote de l’hémochromatose HFE1 serait beaucoup plus faible que ne laissait supposer la prévalence élevée de l’homozygotie C282Y dans la population des malades. Les études réalisées dans les familles de malades hémochromatosiques montrent qu’il existe probablement des facteurs environnementaux (éthylisme, maladies hépatotropes comme les affections virales chroniques et les hépatopathies toxiques), épigénétiques et des gènes modulateurs (cofacteurs génétiques) qui favoriseraient ou non l’expressivité et le développement de la maladie.

Concernant le coût de la maladie pour la collectivité, aucune étude économique n’a été recensée dans la littérature.


Quelle est l'efficacité de la prise en charge précoce des patients atteints d'hémochromatose HFE1 ? Quelles sont les modalités de traitement ?

En 2004, le traitement de l’hémochromatose HFE1 reste la phlébotomie. Il est débuté dès l'apparition d'une surcharge en fer avérée, c’est-à-dire quantifiée biologiquement par l'augmentation de la ferritine sérique. Il n'existe pas de consensus sur la valeur seuil de la ferritine sérique à partir de laquelle le traitement doit être commencé. L’efficacité du traitement sur l’espérance de vie n’a pas été réévaluée en 2004 mais les données des études publiées il y a une quinzaine d’années montraient que les phlébotomies normalisaient l’espérance de vie des malades. En ce qui concerne la symptomatologie, l’efficacité des phlébotomies est variable en fonction des sujets, la symptomatologie pouvant être améliorée (d’autant plus que la compliance au traitement est bonne), aggravée ou inchangée. Lorsque les complications hépatiques sont installées (cirrhose, carcinome hépatocellulaire), les phlébotomies n’ont aucune efficacité sur le devenir de ces lésions.


Des tests diagnostiques performants utilisables dans un programme de dépistage existent-ils ? Ces tests sont-ils bien acceptés par la population à tester ?

Les tests biologiques de la ferritine sérique et du coefficient de saturation de la transferrine (CSTf) sont des tests diagnostiques de la surcharge en fer. Les Sociétés françaises de biologie clinique et d’hématologie ont émis des recommandations conjointes sur les techniques à utiliser pour rechercher biologiquement une surcharge en fer.
La recherche d’une homozygotie C282Y vient confirmer le diagnostic d’hémochromatose HFE1.
Des réglementations de bonnes pratiques de laboratoire et de bioéthique ont été élaborées afin que les tests génétiques soient réalisés dans le respect de la liberté de choix du malade et que les conditions techniques soient optimales afin de garantir la fiabilité des résultats. En France, les laboratoires d’analyses médicales réalisent des tests génétiques en utilisant majoritairement des trousses dites « maison ». Il conviendrait, dans le cadre de la mise en place éventuelle d’un dépistage de l’hémochromatose HFE1 en population générale, de s’assurer de la bonne performance de ces techniques, ainsi que de leur reproductibilité et du niveau de concordance inter-laboratoires des résultats.
La ponction biopsie hépatique (PBH) n’est plus utilisée comme test de confirmation de l’hémochromatose HFE1, mais est un examen qui permet d’évaluer le degré d’atteinte hépatique et le pronostic vital du patient en recherchant une cirrhose ou un carcinome hépatocellulaire. L’imagerie par résonance magnétique nucléaire est une technique qui offre une alternative non invasive et qui permet de quantifier la surcharge en fer dans les organes cibles.


Quels sont le bénéfices attendus du dépistage de l'hémochormatose HFE1 : nombre de sujets dépsités, complications évitées ? Quel type de dépistage est envisageable : dépistage familial, dépistage individuel ?

Concernant le dépistage en population générale, la recherche documentaire n’a identifié aucune étude clinique ayant évalué l’efficacité à long terme du dépistage de l’hémochromatose HFE1 sur la morbi-mortalité. Les études économiques qui ont analysé le dépistage systématique de l’hémochromatose ont toutes conclu, malgré des hypothèses différentes, en faveur du dépistage par rapport à l’absence de dépistage et traitement des complications associées à la maladie.

Le dépistage familial serait plus efficace que le dépistage en population générale car il concerne une population à plus haut risque d’être porteuse de la mutation C282Y. Au niveau économique, 2 études publiées depuis le rapport Anaes 1999 ont étudié des stratégies de dépistage familial de l’hémochromatose HFE1. Elles permettent de conclure à la pertinence du dépistage génétique familial de l’hémochromatose HFE1 par rapport à une absence de dépistage ou au dépistage en population générale, du fait du moindre nombre de personnes à tester pour identifier un homozygote C282Y et donc de son moindre coût associé à une plus grande efficacité.

La recherche documentaire n’ayant identifié aucun modèle français portant sur le dépistage de l’hémochromatose HFE1, des simulations économiques de stratégies de dépistage de l’hémochromatose HFE1 ont été réalisées et présentées dans ce rapport, en tenant compte des particularités françaises. Les simulations ont donné une indication sur le nombre de cas d’homozygotie C282Y dépistés et les coûts liés à leur détection, supportés par l’assurance maladie.
Une première simulation concernait le dépistage familial qui était fondé sur un test génétique mis en place après identification d’un probant dont la surcharge en fer était avérée (dépistage phénotypique) et l’homozygotie C282Y confirmée par un test génétique. Les résultats indiquaient que le dépistage familial permettait d’identifier environ 200 cas d’homozygotie C282Y pour 1 496 sujets testés la première année avec un coût total de 78 000 €. Les taux de participation de la fratrie, du conjoint et des enfants du probant étaient des variables clés de l’efficacité du dépistage. Afin d’améliorer l’adhésion de ces personnes au dépistage, les patients devraient être sensibilisés à l’importance de la transmission de l’information dans leur famille.

La seconde simulation concernait trois stratégies de dépistage en population générale : le dépistage génétique de l’ensemble de la population cible ; le dépistage biologique fondé sur deux mesures successives du coefficient de saturation de la transferrine, et une confirmation ultérieure de l’homozygotie C282Y par un test génétique ; le dépistage phénotypique fondé sur deux paramètres biologiques (élévation du CS-Tf et de la ferritinémie) proposé à l’ensemble de la population cible avec confirmation ultérieure de l’homozygotie. Ce dépistage permettait, selon la stratégie utilisée, de dépister de 1 166 à 1875 sujets homozygotes pour la mutation C282Y pour 375 000 personnes testées. Le coût total des stratégies variait de 3,6 à 19,5 millions d’euros. C’est la stratégie de dépistage associant le CS-Tf et le test génétique qui avait le coût par cas dépisté le moins élevé.

Les résultats des simulations mériteraient d’être confirmés et complétés par ceux d’un modèle dynamique intégrant l’ensemble des coûts et des conséquences de chaque stratégie de dépistage (coût des complications évitées notamment) ainsi que les préférences des patients. Pour cela, les objectifs du dépistage (critères d’efficacité), la fréquence du dépistage et les valeurs seuils des tests biologiques doivent être prédéfinis, la compliance réelle au suivi biologique et l’observance du traitement doivent être prises en considération. La mise en œuvre de ces stratégies devrait en tout état de cause s’accompagner d’une inscription du test génétique à la nomenclature dans les indications proposées en juillet 2003 par la Commission de la nomenclature des actes de biologie médicale de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés : recherche de la mutation C282Y pour les patients présentant une perturbation du bilan martial notamment une augmentation de la saturation de la transferrine, et/ou apparentés à un patient présentant la mutation ou dépistage génétique en population générale.

Les conditions optimales sont-elles réunies pour mettre en place un dépistage systématique de l'hémochromatose HFE1 en France ? Si oui, une standardisation du dépistage peut-elle être mis en œuvre ? Quel cahier des charges devrait être établi ?

L’évaluation des pratiques françaises a révélé l’hétérogénéité des attitudes des praticiens, des méthodes biologiques et des tests génétiques utilisés pour la recherche d’une hémochromatose HFE1. Les modalités de mise en œuvre de ce dépistage (lieux de dépistage, problèmes de logistique, financement, réglementation, sensibilisation et incitation des professionnels de santé, cotation des actes) restent à définir.

 

Conclusion générale

Les données cliniques, les études économiques et les enseignements de la simulation réalisée dans ce rapport convergent en faveur d’un renforcement du dépistage familial de l’homozygotie C282Y à partir des probants identifiés. En effet, le dépistage génétique familial s’avère une stratégie simple, efficace et peu coûteuse, susceptible d’être largement et rapidement diffusée à partir des pratiques déjà mises en place dans certaines régions. Il faut en encourager l’organisation sur l’ensemble du territoire national.

En 2004, la question de l’opportunité du dépistage systématique de l’hémochromatose HFE1 en population générale française reste posée. Elle relève d’une décision politique, compte tenu du coût total des stratégies et de leur efficacité respective et de l’absence de données cliniques évaluant son efficacité à long terme. L’analyse coût/efficacité effectuée dans ce rapport ne permet ni de décider de cette mise en place, ni même de trancher clairement en faveur de l’une ou l’autre des stratégies le cas échéant. Il existe toutefois des arguments cliniques en faveur de la mise en œuvre d’études pilotes de dépistage afin d’en évaluer la faisabilité dans les régions possédant déjà l’infrastructure adéquate. Ces études auraient notamment pour objectif de répondre aux questions en suspens concernant : l’âge auquel le dépistage devrait être fait, la stratégie qu’il conviendrait d’adopter, les seuils des tests biologiques, la périodicité de la surveillance biologique, la durée totale de cette surveillance, l’adhésion des populations cibles aux stratégies de dépistage envisagées et le coût total du dépistage.

En conclusion, la systématisation du dépistage génétique familial de l’hémochromatose HFE1 au niveau national et la mise en œuvre d’un dépistage pilote au niveau régional en population générale sont préconisées en 2004. Au-delà d’une amélioration du diagnostic individuel de l’hémochromatose HFE1 et d’un développement de l’information du corps médical, les modalités de ces dépistages devront être organisées et standardisées. 

 

Perspectives

Sur la base des données actuelles il convient :

  1. de favoriser le diagnostic individuel et proposer aux praticiens français (généralistes et spécialistes) un algorithme décisionnel de prise en charge des patients surchargés en fer sur la base de critères cliniques, biologiques, et génétiques. Cet algorithme doit aussi préciser la fréquence de surveillance biologique des patients, une standardisation du traitement, les examens nécessaires pour rechercher les complications ;
  2.  de poursuivre la recherche clinique et fondamentale pour améliorer la connaissance de la maladie, en menant notamment une étude sur la pénétrance de la mutation en France ;
  3. d’évaluer les pratiques médicales actuelles en ce qui concerne la prescription des tests génétiques ;
  4. d’évaluer les modes de prise en charge des patients atteints d’hémochromatose HFE1 et la qualité de vie des patients par des enquêtes auprès des praticiens hospitaliers et/ou libéraux. Les attentes des patients et de leurs familles vis-à-vis du dépistage, mais aussi les conséquences potentielles de l’identification de sujets à risque à l’intérieur des familles devraient également être explorées ;
  5. de définir les modalités du dépistage, en particulier de fixer l’âge à partir duquel les tests de dépistage peuvent être pratiqués, l’âge à partir duquel ils n’ont plus lieu d’être et la fréquence de répétition de ces tests.

 

 

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