Stratégies thérapeutiques d'aide au sevrage tabagique : efficacité, efficience et prise en charge financière

Recommandation en santé publique - Mis en ligne le 23 janv. 2007

Les bénéfices de l'arrêt du tabac ont été clairement démontrés en termes de mortalité comme de morbidité. Parce que le tabagisme est un comportement renforcé par une dépendance, dont la nicotine est principalement responsable, seule une minorité de fumeurs parvient à une abstinence permanente dès la première tentative d'arrêt. Une aide au sevrage tabagique s'avère dès lors indispensable afin d'accompagner le fumeur dans sa tentative d'arrêt. A la demande de M. le Ministre de la Santé et des Solidarités, la Haute Autorité de Santé a évalué dans le cadre de ce rapport :

  • L'efficacité et l'efficience de l'ensemble des thérapeutiques disponibles dans l'aide au sevrage tabagique et la stratégie thérapeutique recommandée;
  • L'impact attendu du remboursement de ces traitements sur l'accès au sevrage et les résultats de celui-ci, notamment dans les populations les plus à risque;
  • La thérapeutique à privilégier et les populations à cibler en priorité dans le cas où une prise en charge serait envisagée.

Ce document a été élaboré à partir d'une synthèse des recommandations de pratique clinique existantes et d'une revue de la littérature non exhaustive.

 

Conclusions et propositions

L’aide au sevrage tabagique s’inscrit dans un programme global de santé publique, associant diverses mesures (réduction du tabagisme passif, prévention de l’initiation tabagique, augmentation des prix du tabac, etc.). Les bénéfices de l’arrêt du tabac ont été clairement démontrés. Le sevrage tabagique permet de réduire la mortalité, et ce d’autant plus qu’il intervient précocement. Il diminue les risques de survenue des maladies liées au tabagisme (cancer broncho-pulmonaire, maladies cardio et cérébro-vasculaires et broncho-pneumopathies chroniques obstructives principalement). Il s’accompagne également d’une diminution des risques d’aggravation ou de récidive de ces pathologies. L’arrêt de la consommation tabagique apparaît également souhaitable chez des personnes atteintes de pathologies aggravées par le tabac (hypertension artérielle, diabète de type 1 et 2, insuffisance rénale, asthme) afin de stabiliser ou de ralentir l’évolution de ces maladies. Enfin, des bénéfices ont été démontrés chez la femme enceinte en cas d’arrêt du tabac avant la grossesse ou au cours des 3 à 4 premiers mois, concernant aussi bien le poids de naissance que le risque de rupture prématurée des membranes ou d’hématome rétro-placentaire.
Cependant, si deux tiers des fumeurs déclarent souhaiter arrêter de fumer, seuls 3 à 5% d’entre eux ne fumeront plus au bout de 6-12 mois en l’absence de toute aide pharmacologique ou non pharmacologique à l’arrêt. Parce que le tabagisme est un comportement renforcé par une dépendance, dont la nicotine est principalement responsable, seule une minorité de fumeurs parvient à une abstinence permanente dès la première tentative d’arrêt, alors que la majorité persiste dans une consommation de tabac sur plusieurs années selon une alternance de périodes de rechutes et de rémissions. Une aide au sevrage tabagique s’avère dès lors indispensable afin d’accompagner le fumeur dans sa tentative d’arrêt.

Différentes thérapeutiques médicamenteuses et non médicamenteuses ont fait la preuve de leur efficacité et de leur efficience dans l’aide à l’arrêt du tabac.
Au total, l’analyse des méta-analyses et revues systématiques publiées depuis 2000 met en évidence la variabilité des balances bénéfice/risque des thérapeutiques médicamenteuses d’aide au sevrage tabagique. Elle confirme l’efficacité des TSN et du bupropion LP dans l’aide à l’arrêt du tabac, en particulier en cas de dépendance à la nicotine et chez des fumeurs motivés à l’arrêt. Cette efficacité apparaît largement indépendante du niveau de soutien additionnel proposé, même si ce dernier ne doit pas être négligé. Ces résultats reposent sur des études principalement réalisées dans des populations générales de fumeurs motivés à l’arrêt. Les données d’efficacité sont beaucoup plus fragmentaires dans des sous-populations spécifiques. Deux autres aides pharmacologiques, la clonidine et la nortriptyline, ont fait la preuve de leur efficacité. Cependant, leur profil de tolérance est moins favorable. L’efficacité de la varénicline dans l’aide au sevrage tabagique a également été démontrée dans trois essais cliniques chez des fumeurs de 10 cigarettes ou plus par jour sélectionnés (exclusion notamment des femmes enceintes, des personnes de moins de 18 ans et de plus de 75 ans et des personnes ayant des maladies chroniques sévères).. Cette molécule n’ayant obtenu que récemment une autorisation de mise sur le marché, la connaissance de ses effets indésirables reste limitée.
Parmi les thérapeutiques non médicamenteuses, les thérapies cognitives et comportementales ont également fait la preuve de leur efficacité dans l’aide au sevrage tabagique. Plusieurs formats de conseils peuvent être utilisés : les matériels d’auto-support (de façon marginale), le soutien comportemental individuel, le soutien de groupe et les conseils téléphoniques proactifs. C’est le cas également des techniques aversives. Mais ces dernières posent des problèmes de tolérance, ce qui explique leur abandon. L’efficacité des thérapeutiques non médicamenteuses semble influencée par l’intensité du soutien offert (durée des contacts) ainsi que par la mise en œuvre d’un suivi.

En terme économique, les études indiquent de façon systématique que les thérapeutiques médicamenteuses d’aide au sevrage tabagique (TSN et/ou du bupropion LP) sont coût-efficaces en termes de coût par années de vie gagnée et de coût par QALY quelle que soit la situation de référence. Les stratégies optimales consistent à associer TSN et/ou bupropion et accompagnement par un professionnel de santé plus ou moins intensif (de l’intervention brève au soutien psychologique). Les interventions les moins intensives ont tendance à être les plus coûtefficaces mais les interventions intensives continuent de se comparer favorablement à la plupart des interventions de santé généralement acceptées (prévention (hypertension artérielle, hypercholestérolémie) ou au dépistage de certains cancers (mammographies et frottis de Papanicolaou en particulier). D’un point de vue économique, l’ensemble de ces stratégies devrait pouvoir être proposé compte tenu de l’hétérogénéité de la population de fumeurs en terme de dépendance et de motivation à l’arrêt et de l’impossibilité de déterminer a priori qui va répondre à une intervention donnée. Enfin, les thérapeutiques d’aide au sevrage tabagique sont coût-efficaces dans les sous-populations de patients hospitalisés et l’aide au sevrage tabagique est particulièrement favorable sur le plan économique dans la population des femmes enceintes.

Selon les recommandations de l’AFSSAPS, la prise en charge du fumeur motivé à l’arrêt du tabac repose sur une évaluation clinique initiale permettant de déterminer le degré de dépendance à la nicotine (par le test de Fagerström), de repérer des troubles anxio-dépressifs et de dépister une co-dépendance (alcool, cannabis…). Un suivi prolongé des patients tabagiques sevrés s’impose toujours. En cas de rechute, un soutien psychologique prolongé associé à une thérapie comportementale et cognitive est recommandé. L’aide au sevrage tabagique peut néanmoins prendre des formes variées et plus ou moins intensives selon l’importance des dépendances et des difficultés à l’arrêt. Si les actions de politique générale, complétées par le conseil minimal donné par tout professionnel de santé, peuvent suffire à obtenir l’arrêt chez les fumeurs les moins dépendants, une aide médicalisée est indispensable pour les fumeurs ayant une dépendance forte (médecins généralistes le plus souvent, ayant acquis une formation et une expérience dans l’aide à l’arrêt du tabac). Le recours aux consultations de tabacologie peut être envisagé dans les formes les plus sévères, avec dépendance très importante, co-morbidité anxio-dépressive et conduites addictives associées.

Dès lors que les thérapeutiques médicamenteuses et non médicamenteuses d’aide au sevrage tabagique ont fait la preuve de leur efficacité et d’un rapport coût/efficacité extrêmement favorable par rapport à l’absence de sevrage tabagique, la question de leur prise en charge financière par la collectivité se pose.
Parce que la littérature théorique indique que cette couverture est de nature à violer les « premiers principes » de l’assurance (événement avec forte probabilité de survenue ; coût des traitements relativement faible sauf pour les populations à bas revenus, et recours probablement influencé par l’existence de la couverture assurantielle), le remboursement des traitements d’aide au sevrage tabagique doit être considéré comme relevant d’une logique de subventionnement.
Une recherche bibliographique exhaustive portant sur la question de l’efficacité et de l’efficience de la couverture partielle ou totale des thérapeutiques médicamenteuses et non médicamenteuses d’aide au sevrage tabagique a permis de fournir des éléments d’information sur la justification d’un tel dispositif au travers de trois types d’informations : ses effets sur le niveau d’utilisation des traitements, ses effets sur le taux de sevrage tabagique et son efficience. Il semble ainsi que :

  • La couverture financière totale des traitements d’aide au sevrage tabagique est associée à une augmentation de la proportion de fumeurs effectuant une tentative d’arrêt de leur consommation tabagique ;
  • La couverture financière des thérapeutiques (TSN, bupropion, soutien comportemental) augmente la proportion de fumeurs utilisant ces traitements par rapport à l’absence de prise en charge financière. Par ailleurs, une couverture totale apparaissait plus efficace qu’une couverture partielle.
  • La couverture totale des traitements d’aide au sevrage tabagique augmente de façon significative le taux d’abstinence, qu’elle soit comparée à l’absence de couverture ou à une couverture partielle.
  • La couverture financière des différentes thérapeutiques fournit des ratios coût/efficacité favorables par rapport à l’absence de couverture financière (notamment le traitement des pathologies liées aux tabac), en termes de coût par fumeur abstinent, de coût par année de vie gagnée et de coût par Qaly.


L’analyse des systèmes de remboursement mis en place dans quelques pays étrangers et des expériences françaises de prise en charge financière des thérapeutiques d’aide au sevrage tabagique fournit des éléments d’orientation sur le contenu de cette couverture, la population à couvrir, les modalités de mise en œuvre.

  • Ainsi seules les thérapeutiques médicamenteuses et non médicamenteuses recommandées dans l’aide au sevrage tabagique doivent être concernées par cette prise en charge financière ;
  • Seules les thérapeutiques qui ont fait l’objet d’une prescription doivent être couvertes, cette condition permettant d’assurer la mise en œuvre d’un conseil d’aide au sevrage d’intensité plus ou moins forte par un professionnel de santé (les TSN restant en vente libre pour les fumeurs souhaitant arrête de fumer sans prescription médicale). L’intérêt d’un encadrement initial de la tentative de sevrage doit en effet être souligné, dès lors qu’il existe une relation dose-réponse entre l’intensité du soutien offert et le taux d’abstinence.
  • Le protocole Abstinent-Contingent Treatment recommandé par le NICE apparaît comme une réponse possible, dont l’intérêt économique a été démontré, au problème des taux élevés de rechute au cours de la première semaine de la tentative d’arrêt : le renouvellement de l’ordonnance après éventuelle adaptation à la suite d’une prescription initiale courte d’une durée de deux semaines permet de conditionner la poursuite de la prise en charge financière au maintien de la tentative d’arrêt. La vérification du statut tabagique par mesure du CO dans l’air expiré pourrait être réalisée à cette occasion.
  • La réponse à la question du ciblage du dispositif sur certaines populations est moins univoque. Différents arguments sont avancés qui permettent, selon les pays, de distinguer certaines populations prioritaires. Si la recherche de l’efficience incite à concentrer les efforts sur les fumeurs les plus jeunes, tout fumeur doit pouvoir bénéficier du dispositif, dans une perspective large de santé publique. Certains arguments permettent de distinguer les fumeurs atteints de pathologies liées au tabagisme, pour qui la démarche de sevrage tabagique s’inscrit dans une perspective de prévention secondaire voire tertiaire et les femmes enceintes dans une logique de prévention des complications obstétricales et de protection de l’enfant à naître. Enfin, les populations en situation de précarité ont parfois été particulièrement ciblées dans un souci d’équité.
  • Enfin, la mise en œuvre d’un dispositif de prise en charge financière des thérapeutiques d’aide au sevrage tabagique implique un renforcement des actions de formation en direction des professionnels de santé.

 

Ce rapport est fondé principalement sur une revue de la littérature et une analyse des expériences de prise en charge financière développées en France et à l’étranger. Ses principales conclusions sont les suivantes :

  • L’aide au sevrage tabagique est indispensable pour accompagner le fumeur dans une tentative d’arrêt.

    Si le conseil minimal de tout professionnel de santé peut suffire à obtenir l’arrêt chez les fumeurs les moins dépendants, un soutien plus intensif est indispensable pour les fumeurs ayant une dépendance forte. Le recours aux consultations de tabacologie peut être envisagé dans les formes les plus sévères.
  • Le subventionnement des traitements d’aide au sevrage tabagique est encouragé. Il doit concerner :
    • les thérapeutiques médicamenteuses et non médicamenteuses recommandées par l’AFSSAPS,
    • qui ont fait l’objet d’une prescription, afin d’assurer un suivi par un professionnel de santé.

     L’encadrement initial de la tentative de sevrage est encouragé (évaluation de la dépendance, ordonnance initiale pour deux semaines et renouvellement du traitement selon le statut tabagique à deux semaines).

     La prise en charge financière des thérapeutiques d’aide au sevrage tabagique implique un renforcement des actions de formation en direction des professionnels de santé.

  • A priori, la prise en charge financière des thérapeutiques d’aide au sevrage tabagique doit concerner l’ensemble des fumeurs.

    Au plan médical, il apparaît que les femmes enceintes, les patients hospitalisés, ainsi que les patients pris en charge en ALD dans le cadre d’une maladie liée au tabac constituent une cible prioritaire pour laquelle le subventionnement de la démarche de sevrage devrait être intégral.

    Concernant les autres sous-populations de fumeurs, il n’existe pas d’arguments dans la littérature sur l’efficacité et l’efficience de la couverture financière. L’arbitrage entre diverses modalités de ciblage (ou de non ciblage) revient au décideur public en fonction de la hiérarchisation de ses critères de décision (efficience, prévention primaire, secondaire, équité, etc). Il est toutefois possible de mettre un accent particulier sur certaines populations :
    • Dans une perspective préventive, les adolescents constituent une cible spécifique prioritaire d’une politique d’aide au sevrage nécessitant des stratégies spécifiques d’accompagnement.
    • Dans une perspective d’équité, une prise en charge particulière des populations défavorisées ou en situation de vulnérabilité sociale s’imposerait. Elle viserait notamment à les sensibiliser de façon soutenue aux bénéfices du sevrage tabagique de façon à renforcer leur motivation à l’arrêt du tabac.
    • Les personnes atteintes de troubles psychiatriques sévères nécessitent également des stratégies spécifiques de prise en charge.

     Ces stratégies d’aide au sevrage tabagique en fonction des cibles identifiées devront faire l’objet d’évaluations par des groupes d’experts ad hoc.

  • Enfin, les conclusions de ce rapport pourraient utilement être précisées par une modélisation de différents scenarii, permettant de déterminer les stratégies les plus efficientes de prise en charge financière des thérapeutiques d’aide au sevrage tabagique selon les populations. Une étude économétrique sur les déterminants de la dépendance et de l’arrêt du tabac pourrait également fournir des éclairages sur les mécanismes qui sous-tendent la réussite d’un sevrage tabagique.

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