COVID-19 – Avis du Conseil pour l’engagement des usagers

Avis n° 1/2020 du Conseil pour l’engagement des usagers
AVIS DU CONSEIL POUR L’ENGAGEMENT DES USAGERS - Posted on May 05 2020
  • Recommandation n°1 : Mobiliser les processus de démocratie en santé, en recourant notamment au numérique.
  • Recommandation n°2 : Justifier, partager et faire comprendre à l’opinion, toutes générations confondues, notamment les enfants et les adolescents, les règles de levée du confinement.
  • Recommandation n°3 : Porter une information ciblée vers les personnes les plus éloignées des flux informationnels de type « grand public ».
  • Recommandation n°4 : Rechercher dans le contexte du COVID-19, une meilleure coordination des parcours entre soin, domicile et accompagnement social et médico-social.
  • Recommandation n°5 : Mobiliser toutes les ressources en faveur de rituels sociaux facteurs de résilience collective.

Contexte

Mis en place dans le cadre des orientations stratégiques 2019-2024, le Conseil pour l’engagement des usagers (CEU) est un groupe d'appui et de ressources permanent pour éclairer les travaux de la HAS. Il est conçu comme un lieu de réflexion et d’échange rassemblant diverses expertises, afin de promouvoir l’engagement des patients et des personnes accompagnées au sein du système de santé, sanitaire, médico-social et social. C’est dans le cadre de cette seconde mission qu’intervient le présent avis.

Composé de dix-neuf membres, présidé par un membre du Collège de la HAS, ce conseil réunit paritairement des membres issus pour une partie des associations d’usagers et de personnes de la société civile, et pour une autre partie de personnes issues des professions de santé, sociales ou médico-sociales et de la recherche ou de l’enseignement. Ses avis reposent sur une approche collaborative entre ses membres.

Après plusieurs mois d’épidémie de COVID-19 et un mois de confinement, les membres présents du CEU ont partagé leurs inquiétudes et leurs propositions, à l’occasion de sa réunion du jeudi 16 avril 2020.

Il a été particulièrement relevé :

  • le retard de perception et de prise en compte des risques accrus dans les secteurs social et médico-social, comme pour les personnes seules à leur domicile ainsi que pour leurs auxiliaires de vie ; et un décalage dans la prise de conscience publique des conséquences de l’épidémie dans ces secteurs, tant pour les personnes concernées que pour les équipes professionnelles ;
  • l’absence de recours aux outils de la démocratie sanitaire dans l’organisation des réponses à la crise, comme s’ils avaient été mis de côté, alors même que là où ils ont été mobilisés, les informations qu’ils apportaient ou celles qu’ils pouvaient relayer ont permis de surmonter des difficultés, notamment dans les parcours de soins ; trop rarement, des représentants des usagers ou des conseils de la vie sociale ont été inclus dans la construction des réponses à la crise ; les représentants d’usagers se voyant même parfois opposer une fin de non-recevoir à leur proposition d’aide ;
  • le climat d’incertitude et de peur, exacerbé par la communication écrite et audiovisuelle, génère des troubles, particulièrement dans les situations individuelles vécues douloureusement ;
  • le surgissement de l’épidémie a suscité le meilleur dans les réponses professionnelles, sociales et/ou de la Nation, même si des remises en cause se manifestent déjà, sans doute en raison de réponses imparfaites ayant pu mener à l’exclusion de certains publics ou de disponibilité des moyens.

Dans ce contexte, alors que se poursuit la circulation du coronavirus SARS-CoV-2 pour une durée incertaine jusqu’à l’arrivée de traitements curatifs et de vaccins, et que toutes les certitudes sur le virus ne sont pas établies, le Conseil pour l’engagement des usagers de la Haute Autorité de santé (HAS) émet cinq recommandations pour la HAS et le système de santé dans son ensemble.

Sur la mobilisation de la démocratie en santé

Les mobilisations de la société dans les deux dernières décennies du XXème siècle, suivies des États généraux de la santé, puis des deux lois de 2002 [1], ont établi les principes de la démocratie en santé impliquant la participation des personnes et des organisations dont elles se dotent aux décisions de santé.

Le régime d’exception rendu nécessaire par l’épidémie n’a pas permis que ces principes soient toujours respectés.

Dans la dimension collective, il eut pourtant été possible de faire vivre les principes de démocratie en santé par le truchement des moyens numériques (plates-formes électroniques, forums numériques, etc.). Les représentants des usagers ont été saisis dans les comités de protection des personnes car leur présence est une obligation légale (pas de quorum en leur absence), ce qui invite à faire de leur présence une obligation légale dans toutes les instances. En outre, il n’est pas acceptable que la majorité des instances n’aient pas été réunies depuis la survenue de l’épidémie.

Le CEU estime :

  • que le recours aux outils du numérique constitue une bonne solution de suppléance des limites physiques de la démocratie en santé en cas d’épidémie ;
  • que ces solutions doivent être activées comme le recommandent la Conférence nationale de santé (CNS)[2], la Société française de santé publique (SFSP), France Assos Santé (FAS) et de nombreuses parties prenantes dans les domaines sanitaires, sociaux et médico-sociaux, comme l’a d’ailleurs demandé le président du Conseil scientifique COVID-19[3];
  • que de telles solutions permettent de recenser les témoignages et les retours d’expérience positifs et négatifs afin d’en tirer les enseignements, d’une part, et de s’assurer de l’adhésion de l’opinion aux solutions proposées en matière de levée du confinement puis dans la période ultérieure, d’autre part ;
  • que, dès qu’il sera possible, les institutions de la démocratie en santé retrouvent un fonctionnement habituel ;
  • que malgré ses potentiels, le numérique est aussi source d’inégalités comme de nombreux rapports publics, bien avant l’épidémie, avaient déjà eu l’occasion de le souligner.

Sur la levée du confinement

Les modalités de levée du confinement doivent être justifiées par les données de la science, par les exigences de santé publique sans porter d’atteintes disproportionnées aux libertés individuelles et collectives, par les aspirations éthiques de notre temps et par le plus haut niveau de maintien des liens sociaux. C’est le croisement de ces éléments, et leur partage avec l’opinion, y compris des incertitudes, qui concourt à l’acceptabilité sociale des décisions publiques.

Le CEU estime :

  • que des recommandations à la population, répondant aux principes rappelés plus haut, doivent permettre de réduire les risques de rebond épidémique ;
  • que toute personne nécessitant une protection doit être à même de pouvoir le faire ;
  • que certaines situations d’impossibilité de porter un masque doivent être prises en compte (alimentation, souffrances psycho-sociales, jeunes enfants, etc.) ;
  • qu’une évaluation ou autoévaluation de vulnérabilité individuelle guidant chacun de façon objective pour réduire son risque de contamination par le COVID-19 est préférable à des décisions non justifiées, ressenties comme discriminantes.

Sur l’information du public

L’information au public repose essentiellement sur l’information véhiculée par les organes de presse écrite et audiovisuelle, les supports numériques et digitaux, et la communication publique. Le principe constitutionnel de liberté de l’information ne permettant pas à la puissance publique d’intervenir vers les supports de presse écrite, audiovisuelle ou numérique, il apparaît essentiel que la communication publique, que ce soit par les discours publics (communication radio-télévisée, conférence de presse, interview) ou les messages informationnels (radio, télévision, numérique, etc.) repose, comme cela a été le cas, sur une approche raisonnée des faits et connaissances. Toutefois, des efforts doivent encore être accomplis.

Le CEU estime :

  • qu’en plus des messages grand public, des messages ciblés, prenant notamment en compte les apports de la littératie en santé et spécialement le langage « Facile à lire, Facile à comprendre » (FALC), doivent être construits vers les populations les plus vulnérables ;
  • que ces messages ciblés doivent aussi être portés au plus près des populations et coconstruits avec elles par les intervenants sanitaires, sociaux et/ou de la solidarité dans une démarche « d’aller vers » ;
  • que des messages (labels, icônes, pictogrammes) permettent à tous de s’assurer du niveau de performance des équipements de protection individuelle et de leur modalité d’utilisation, notamment les masques ;
  • que des messages expliquant les circuits dédiés en aval de l’hospitalisation aux personnes ayant reçu un diagnostic de COVID-19 (circuit COVID +), séparés d’un circuit COVID – doivent encourager le retour des patients vers le système de soins ;
  • que les informations doivent globaliser les ressources existantes plutôt que de créer de nouvelles ressources informationnelles ou de soutien, sauf quand cela est indispensable ;
  • que les médias doivent porter une grande attention à résoudre les aspects les plus anxiogènes dans leur information et leur communication écrite et audiovisuelle ; ils doivent tous aider les populations à démêler le vrai du faux dans une période où de fausses informations circulent en grand nombre, notamment en mobilisant plus que de coutume les modèles de vérification des faits (pédagogie, fact checking) ; spécialement pour la bonne compréhension d’un dispositif (essai clinique, test, etc.) ou de certaines notions (anticorps, virus, etc.), qui sont loin d’être intuitives pour la grande majorité de nos concitoyens.

 

Sur la coordination des parcours de santé

Le retour à domicile en période de confinement a révélé le manque de coordination des parcours de santé laissant trop souvent les patients sans solution pour répondre à leurs besoins de santé. Ces attentes, qui constituent des pertes de chances pour les patients, doivent être résolues, y compris dans la période de déconfinement et pendant les semaines ou mois à venir où nous aurons à affronter l’épidémie.

À cet égard, le CEU déplore que certains professionnels de santé, parfois à l’appel de leur organisation de référence, aient refusé de prodiguer des soins au domicile des personnes alors que des mesures barrières peuvent être mises en place, même si la disponibilité des équipements de protection individuelle n’a pas toujours été effective, singulièrement à domicile et dans les établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS). En outre, s’il est légitime de recommander aux populations d’aller vers le système de soin, il n’est pas moins utile de recommander aux professionnels de santé qu’il est essentiel qu’ils prennent l’initiative de contacter leur patientèle, notamment les patients ayant des risques élevés de décompensation d’une maladie chronique ou de rupture de soins.

En outre, le CEU estime que la distribution des moyens de protection individuelle des professionnels intervenant à domicile devrait être organisée au niveau du domicile de la personne et non pas intervenant par intervenant, par exemple quand il s’agit de la distribution des masques.

Le CEU estime :

  • que le retour à domicile des patients ayant séjourné dans un établissement de santé doit être sécurisé : par la vérification d’une possibilité de confinement dans son lieu de résidence si la personne est susceptible d’y transmettre le virus ou d’y être contaminée, la mise à disposition des moyens de prévention pour la personne et son entourage ou une possibilité d’hébergement dans un hôtel réquisitionné à cet effet ;
  • que la situation de tout patient ayant contracté le COVID-19 et sortant d’un établissement de santé doit faire l’objet, comme pour toute hospitalisation, d’une lettre de sortie de l’hôpital adressée au médecin traitant de ce patient ou au médecin coordonnateur de l’établissement social ou médico-social ;
  • qu’en cas de besoin de poursuite des soins et de rééducation, la personne concernée soit garantie d’une solution à son domicile, en service de soins de suite et réadaptation (SSR) ou en établissement social ou médico-social ;
  • que la personne sortant d’un service de médecine ou de SSR pour regagner son domicile, un hébergement hôtelier, un accueil ou un séjour en établissement social ou médico-social soit informée des ressources de soutien psycho-social, publiques ou privées, le cas échéant à distance ; en effet ces mises à l’isolement peuvent être vécues comme traumatiques dans un contexte familial ou de vie avec ses proches ;
  • que des solutions alternatives soient proposées à des personnes souhaitant s’isoler de leurs proches ou de leur famille pour se protéger d’éventuels risques de contamination ; dans le même esprit, les solutions de type répit doivent être mieux mobilisées pour toutes les populations (handicap, violences, etc.) ;
  • que pour les personnes et leurs proches, les solutions de téléconsultation soient développées et mises à leur disposition, dans les dimensions curatives comme de soutien psycho-social, particulièrement en santé mentale lorsqu’elles font défaut ;
  • que la situation des personnes dont la prise en charge hospitalière a été suspendue au cœur de la crise fasse l’objet d’une évaluation par le patient, ses proches aidants et l’équipe médicale et de soins qui le suit, afin de leur fournir des soins adaptés à leurs besoins, notamment dans le cas des décompensations mais aussi pour les soins spécialisés interrompus en raison du COVID-19, dans le domaine dentaire par exemple ;
  • que l’approche globale de la personne, intégrant les conditions de sa vie au domicile ou là où elle réside, y compris dans les hébergements d’urgence, doit être au cœur de la préparation de la sortie de l’établissement de santé, de sorte que soient mobilisées les solutions les plus complètes et les plus adaptées pour son rétablissement, le cas échéant en mobilisant les services d’hospitalisation à domicile et/ou d’aide au domicile et en garantissant l’accès prioritaire aux activités de soin interrompues pendant la période de confinement pour ne pas aggraver les conséquences des retards aux soins ;
  • que les associations d’usagers qui ont élaboré des outils d’aide et d’accompagnement de leurs adhérents et les publics auxquels elles s’adressent doivent être mobilisées par les professionnels du soin ou des secteurs social et médico-social dans la perspective d’une vie avec le COVID-19 sur une longue durée ;
  • que les dispositifs électroniques d’aide au repérage de situation d’urgence doivent continuer à être utilisés et permettre de faire le lien avec des professionnels de soins.

Sur les rituels sociaux

Face aux crises sanitaires, notamment quand elles se traduisent par un nombre effrayant de deuils, il importe de mettre en place des rituels sociaux reconnaissant les douleurs endurées et la dureté de l’évènement pour permettre aux personnes, aux familles, aux professionnels, aux groupes humains et à la société de vivre leur(s) deuil(s) et d’entrer en résilience.

Le CEU estime :

  • que ces initiatives doivent potentiellement réunir les professionnels et les personnes concernées ensemble, en tenant compte des recommandations sanitaires en vigueur ;
  • que ces initiatives soient les plus variées quant à leurs initiateurs (personnes concernées, pair-aidants, professionnels, établissements, représentants des usagers, conseils de la vie sociale, collectivités locales, etc.), à leurs formes (lieux de mémoire, mur du/des souvenir(s), ateliers d’écriture, ateliers d’art thérapie, groupes de parole, retour d’expériences personnelles et/ou institutionnelles et/ou de nouvelles pratiques solidaires, etc.), à leur temporalité (pendant le confinement, le jour du déconfinement, après la levée du confinement) et aux lieux (établissement, cité, communauté, etc.).

 

 

[1] Loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale et loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé

[2] Avis n° 2-2020 en date du 15 avril 2020

[3] Note au Premier ministre, rendue publique, en date du 14 avril 2020

 

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