Troubles souvent invisibles et cachés par les personnes qui en souffrent, la boulimie et l’hyperphagie boulimique peuvent être décelées lors d’un entretien et d’un examen clinique attentif. Afin d’améliorer le repérage, la prise en charge précoce et le suivi au long cours de ces troubles des conduites alimentaires, chez l’adolescent et l’adulte, la HAS et la Fédération française d’anorexie boulimie publient une recommandation de bonne pratique . Décryptage par Estelle Lavie, du service des recommandations de bonne pratique à la HAS.

 

La HAS a publié une recommandation de bonne pratique sur la boulimie et l'hyperphagie boulimique. Quels sont les  points abordés ?

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Après la publication de la recommandation sur l’anorexie mentale, il était essentiel de faire le point sur les autres troubles des conduites alimentaires (TCA) que sont la boulimie et l’hyperphagie boulimique. Ces recommandations définissent des orientations pour améliorer leur repérage (facteurs de risque, signes d’appel conduisant au diagnostic) et leur prise en charge (première consultation, bilan, orientation, suivi tout au long des troubles). Un chapitre concerne aussi la prise en charge en service d’urgence (cf. encadré).

 

Quelles sont les spécificités de la boulimie et de l'hyperphagie boulimique  ?

Les personnes affectées par la boulimie souffrent de crises : elles absorbent une grande quantité de nourriture dans un temps restreint, sans pouvoir se contrôler. Les crises sont suivies de comportements compensatoires inappropriés tels que des vomissements provoqués ou l’emploi abusif de laxatifs ou de diurétiques, par exemple. Ces comportements ont pour effet que ces personnes présentent rarement une surcharge pondérale. Leur repérage ne peut donc pas se faire sur le critère de leur IMC.
Les personnes souffrant d’hyperphagie boulimique quant à elles présentent le même type de crises, mais n’ont pas recours aux comportements compensatoires. Elles sont généralement en situation de surpoids ou d’obésité. L’IMC est un bon indicateur pour le repérage de ces patients.

 

Les recommandations insistent sur la nécessité d'un repérage précoce. Quelles sont les populations à risque ?

Effectivement, le repérage et la prise en charge précoces sont recommandés pour prévenir le risque d’évolution vers une forme chronique plus résistante aux traitements et source de complications somatique, psychiatrique ou psychosociale.
Les adolescents et les jeunes adultes sont particulièrement touchés. La boulimie est observée plus fréquemment chez les jeunes femmes. Si le risque d’apparition est plus élevé dans ces populations, boulimie et hyperphagie boulimique peuvent survenir et évoluer chez des sujets plus jeunes ou plus âgés.

 

Quels sont les signes qui peuvent alerter les médecins ?

Des préoccupations excessives sur le poids et l’alimentation, des fluctuations pondérales importantes, des régimes alimentaires inadaptés, le recours aux produits à visée amincissante, associés spontanément ou lors de l’évaluation à une souffrance psychique en lien avec ces éléments, sont des signes d’alerte.
Pour la boulimie, on pense face à des vomissements ou une hypokaliémie inexpliquée, des signes indirects de vomissements (érosions cutanées sur les doigts, angle sous-mandibulaire gonflé, érosion dentaire, etc.).
D’autres signes cliniques peuvent alerter : perturbation des menstruations, infertilité, plaintes digestives inexpliquées, reflux gastro-œsophagien, problèmes dentaires divers, pathologies impliquant des régimes (diabète de type 1…).
On peut également citer des contextes devant faire rechercher l’hyperphagie boulimique : le surpoids, la demande de chirurgie bariatrique ou l’échec de perte de poids après chirurgie.
Il est essentiel d'être particulièrement attentif aux signes évocateurs de troubles des conduites alimentaires chez les patients souffrant d’autres troubles psychiques (troubles anxieux ou de l’humeur, addiction, troubles de la personnalité limite, psychotraumatismes, antécédent de troubles des conduites alimentaires).

 

Comment poser le diagnostic ?

En cas de suspicion de boulimie ou d’hyperphagie boulimique, il est recommandé de réaliser une évaluation clinique globale comprenant les aspects somatiques, nutritionnels, psychiatriques et sociaux.
Ce bilan comprend un examen somatique complet, un examen psychiatrique (incluant l’évaluation du TCA), un bilan nutritionnel. Cet examen vise à évaluer la situation actuelle : retentissement clinique physique et nutritionnel, état psychique, signes d’urgence (évaluant notamment les risques et antécédents suicidaires). Il inclura la recherche d’antécédents de TCA personnels et familiaux, d’obésité, d’abus et de maltraitance, la reconstitution de l’histoire du développement des troubles.

 

Comment s'organise la prise en charge de ces patients ? 

La prise en charge de patients souffrant de boulimie et d’hyperphagie boulimique est pluridisciplinaire car son expression clinique est multidimensionnelle. Elle fait intervenir des champs disciplinaires complémentaires (somatique, psychiatrique, nutritionnel et social), il est essentiel que les interventions soient coordonnées.
En fonction de l’état et de l’histoire du trouble de chaque patient, des niveaux de soins différents sont nécessaires : ambulatoires le plus souvent (de la simple consultation aux prises en charge intensives en centre d’accueil thérapeutique à temps partiel – CATTP) et hospitaliers plus rarement (de l’hôpital de jour à l’hospitalisation à temps plein), en milieu somatique ou psychiatrique selon les besoins.

 

Une psychothérapie est-elle recommandée ?

Le suivi global intègre la mise en place d’une psychothérapie (thérapie de soutien, thérapie cognitivo-comportementale [TCC], thérapie familiale, etc.). Parmi les objectifs de ces thérapies, citons le renforcement de la motivation du patient au soin, un travail sur les pensées dysfonctionnelles, un travail sur les liens entre état émotionnel et comportement alimentaire, les attitudes, les sentiments liés au TCA, le traitement des comorbidités psychiatriques, l’amélioration du fonctionnement interpersonnel du patient.
En cas d’impossibilité de recours à une psychothérapie structurée (du fait de l’éloignement ou du manque de thérapeute), un programme d’autosupport peut être proposé en début de prise en charge. L’accompagnement d’un professionnel de santé rend cet autosupport plus efficace.

 

Quelle est la place des psychotropes ?

La prescription de psychotropes est à envisager dans une prise en charge plus globale, mais en aucun cas comme seul traitement.
Les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) peuvent être proposés en première ou deuxième ligne dans la boulimie et en deuxième ligne dans l’hyperphagie. En dehors d’un cadre de centre spécialisé, le topiramate ne doit pas être prescrit compte tenu de sa balance bénéfice-risque et du risque de détournement.
Les psychotropes peuvent être utilisés dans leurs indications habituelles en cas de comorbidités psychiatriques, en tenant compte des effets secondaires pouvant être aggravés par les troubles métaboliques fréquents chez ces patients (liés au surpoids en cas d’hyperphagie, à l’hypokaliémie et à la déshydratation en cas de boulimie).

 

Quid des approches complémentaires ?

Le bénéfice des thérapies à médiation psychocorporelle, telles que la méditation de pleine conscience, l’art thérapie, l’acupuncture, le yoga, le massage, etc. n’a pas été établi ; pour autant, elles ne sont pas contre-indiquées en complément d’un traitement global pluridisciplinaire. Les techniques de neuromodulation non invasive, comme la stimulation magnétique transcrânienne répétitive, ne sont pas recommandées, hors protocole de recherche.

 

Quelles sont les complications à surveiller et traiter ?

Il y a des complications liées aux comportements compensatoires (troubles hydroélectrolytiques, symptômes digestifs hauts et bas, complications dentaires, déséquilibre glycémique pour les diabétiques de type 1, etc.), d’autres liées à la malnutrition (ostéoporose, carence en vitamines, etc.), et aux conséquences du surpoids). La boulimie et l’hyperphagie boulimique entraînent également des complications gynéco-obstétricales, affectant la fertilité, la grossesse et le post-partum.

 

Combien de temps la prise en charge doit-elle durer ?

La prise en charge des maladies chroniques que sont la boulimie et l’hyperphagie boulimique s’étend souvent sur plusieurs années. Il est classiquement proposé que celle-ci dure au moins un an après une amélioration clinique significative. Il est essentiel de rester disponible pour le patient, même en cas d’adhésion intermittente au projet de soin et de développer sa motivation et le soutenir pour améliorer la continuité des soins.

 

Quelles fiches pratiques sont proposées avec cette recommandation ?

Plusieurs fiches pratiques ont été réalisées à destination des praticiens, des patients et de l’entourage :

Quelle prise en charge en urgence pour les troubles des conduites alimentaires (TCA) ?

L’hospitalisation en urgence est recommandée sur des critères somatiques, psychiatriques ou sociofamiliaux, même en l’absence d’anomalie biologique. Le passage aux urgences de tout patient souffrant de boulimie ou d’hyperphagie boulimique justifie une double évaluation, médicale et psychiatrique : examen clinique complet (comprenant notamment le calcul de l’IMC, la recherche d’œdème, de fluctuations pondérales récentes, d’escarres et de scarifications), examen paraclinique (ECG, bilan sanguin dont ionogramme), examen psychiatrique (évaluation du risque suicidaire et des tentatives de suicide, recherche et évaluation des comorbidités).
Le traitement en urgence repose sur la prise en charge des désordres somatiques et psychiatriques et l’évaluation des soins nécessaires à la sortie des urgences (hospitaliers ou ambulatoires, somatiques et/ou ou psychiatriques et l’orientation adaptée).
Si un suivi est déjà en place, les référents médicaux et psychiatriques doivent être contactés au moment du passage aux urgences. Si le patient n’est pas suivi pour son TCA, un service référent régional doit être rapidement contacté pour un avis et pour mettre en place la prise en charge à la sortie des urgences.
Le passage aux urgences peut-être l’occasion d’initier ou de renouer avec une prise en charge dans un contexte de maladie chronique.

 

* Propos recueillis par Arielle Fontaine (HAS) & Citizen press