L’éducation thérapeutique dans la prise en charge des maladies chroniques : Analyse économique et organisationnelle

Rapport d’orientation
Recommandation en santé publique - Mis en ligne le 10 sept. 2008 - Mis à jour le 07 mars 2013

Ce rapport analyse les conditions organisationnelles et financières du développement de l’éducation thérapeutique en France. Il dresse le diagnostic de la situation actuelle et propose des pistes de développement réaliste.

L’éducation thérapeutique est aujourd’hui reconnue comme un élément essentiel de la prise en charge des patients atteints d’une pathologie chronique. Cependant, l’analyse du contexte et les différentes enquêtes de terrain existantes montrent que l’ETP pose de nombreux problèmes de mise en œuvre concrète : hétérogénéité des pratiques, implication variable des professionnels et des patients, modalités de financement et d’organisation incertaines, etc. Or, les études médico-économiques mettent en évidence que, dans ces conditions, le résultat clinique et économique que l’on peut attendre d’une action d’éducation thérapeutique est pour le moins incertain. En conséquence, si l’on veut développer l’ETP, cela doit impérativement se faire dans le cadre d’une stratégie globale visant à rendre cohérents les différents vecteurs possibles de l’offre d’ETP et à garantir la qualité de l’ETP dispensée. Le développement de l’éducation thérapeutique doit reposer sur le respect de deux principes opérationnels fondamentaux : la coordination de l’offre sur le territoire et la promotion d’une démarche qualité. Concrètement, une coordination en trois niveaux peut être mise en place. - Au niveau national, la définition des orientations générales du développement de l’ETP en France (organisation, recommandations professionnelles, etc.) peut reposer sur des structures existantes, dont une serait chargée en outre d’assurer une veille sur l’activité. - Au niveau régional, il s’agit de coordonner l’offre et le financement de l’éducation thérapeutique tout en disposant d’un centre d’information pour les patients et les professionnels de santé. - Au niveau local, des structures et acteurs prestataires garantiraient une offre de proximité. Les méthodes permettant de mettre en place rapidement une démarche qualité existent (certification, évaluation des pratiques professionnelles) mais les outils permettant leur adaptation à l’ETP doivent encore être élaborés : recommandations de pratiques professionnelles déclinées par pathologie, cahiers des charges listant les critères de qualité d’une structure prestataire, référentiel d’évaluation des pratiques professionnelles. Deux autres éléments sont indispensables en amont du développement d’une éducation thérapeutique de qualité et adaptée aux besoins de la population : l’inscription de l’ETP dans la formation initiale et continue des professionnels de santé concernés ; le financement harmonisé des actions d’ETP mises en œuvre par des structures ou des professionnels inscrits dans une démarche qualité.


Introduction

De plus en plus, les professionnels de santé et leurs représentants (sociétés savantes, collèges, etc.), les patients, leurs proches et leurs associations, ainsi que les institutionnels (ministère de la santé, caisses d’assurance maladie) souhaitent le développement ou la pérennisation de l’éducation thérapeutique du patient (ETP) en tant qu’élément indispensable de la prise en charge d’une maladie chronique. Cela nécessite la définition de bonnes pratiques, une prise en charge financière, et dans le même temps une évaluation en termes d’efficacité et d’efficience des interventions d’ETP.

C’est pourquoi, la demande initiale de la Caisse nationale assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), d’élaboration de recommandations concernant l’ETP, a donné lieu à des travaux complémentaires, dont une analyse des conditions organisationnelles et financières du développement de l’éducation thérapeutique en France.


L'éducation thérapeutique en France : un état des lieux

Un premier état des lieux des conditions, dans lesquelles l’éducation thérapeutique est actuellement proposée, montre que : l’offre est diversifiée mais peu coordonnée, les programmes développés sont hétérogènes et ne suivent pas systématiquement les étapes identifiées d’un programme de qualité, le financement n’est pas adapté. Il semble, par ailleurs, que seule une faible proportion de patients atteints d’une maladie chronique a effectivement accès à une ETP.

Parallèlement, on observe une volonté institutionnelle forte de développer une démarche d’ETP de qualité, adaptée à la problématique des maladies chroniques.

Une enquête de la HAS, auprès de 59 structures proposant des programmes d’ETP dans le secteur des soins de ville, confirme la grande hétérogénéité des programmes mis en place et montre également une forte variabilité des rémunérations des professionnels de santé libéraux impliqués. L’analyse monographique de cinq réseaux précise le rôle des professionnels de santé libéraux dans ces programmes, ainsi que leur degré d’implication réelle, qui apparaît encore limité. Elle montre également que la participation des patients n’est pas systématique et qu’elle dépend de la conception du programme (format, contenu, accessibilité, etc.).


Un impact économique incertain : une analyse de la littérature

Ce volet empirique est enrichi par une estimation de l’impact attendu de l’ETP en termes médico-économiques, au travers d’une analyse exhaustive des études économiques ou des essais cliniques étudiant l’impact de l’ETP sur le recours aux soins. L’objectif de cette analyse de la littérature est de documenter l’hypothèse selon laquelle l’éducation thérapeutique, en renforçant les capacités d’adaptation à la maladie par la mise en œuvre de compétences et de processus adéquats, permettrait : d’une part, de réduire à court ou moyen terme le recours aux soins lié à la prise en charge ordinaire de la maladie ; et d’autre part, de limiter ou de retarder les incidents et complications liés à la maladie, avec pour conséquence une réduction à long terme des recours associés.

Les nombreuses études disponibles sont insuffisantes pour démontrer ou infirmer globalement l’hypothèse d’efficience de l’éducation thérapeutique (rapport satisfaisant entre les résultats de l’action et les coûts générés). Les résultats sont difficilement synthétisables entre des expériences généralement locales, avec un programme et des modalités d’évaluation différents, et d’une qualité méthodologique souvent faible (échantillon de petite taille, suivi des patients à court terme, pas d’analyse des perdus de vue, etc.).

Tout en tenant compte de ces limites, il est possible de distinguer plusieurs domaines pour lesquels l’ETP semble offrir des résultats tant cliniques qu’économiques :

  • l’asthme pédiatrique (amélioration des fonctions pulmonaires ; réduction des jours d’activité limitée ; réduction des recours aux urgences ; impact positif à confirmer sur l’hospitalisation) ;
  • le diabète de type 1 (amélioration durable du contrôle du diabète, réduction des hospitalisations, réduction de l’incidence et du coût des complications à long terme) ;
  • la cardiologie, hors suivi du traitement par anticoagulant oral (programmes courts et peu coûteux, réduction importante des ré-hospitalisations).

Pour d’autres domaines cliniques, l’impact observé est moins net :

  • l’asthme adulte (impact clinique non significatif à modéré, variable selon le degré de sévérité ; réduction démontrée sur le recours aux urgences ; impact non démontré sur les consultations et l’hospitalisation ; réduction démontrée de l’absentéisme) ;
  • le diabète de type 2 (impact probable, faible à modéré, sur le contrôle du diabète, tendant à se réduire rapidement dans le temps ; impact sur le recours aux soins non démontré).

Enfin, les études ne permettent d’extraire aucune tendance sur : le suivi du traitement par anticoagulant oral (pas de validité externe des études étrangères, étude à réaliser en France) ; les broncho-pneumopathies chroniques obstructives (impact clinique ou sur la qualité de vie non démontré, réduction des recours aux soins non hospitaliers) ; la rhumatologie (faible qualité des études, résultats contradictoires).

En conclusion, l’éducation thérapeutique est une action de santé qui peut s’avérer bénéfique sur le plan clinique et économique, quand elle se déroule dans des conditions et selon des modalités favorables. Pour autant, cette action met en jeu de nombreux facteurs parfois difficiles à maîtriser, tels que : le format du programme, son degré d’intégration dans la prise en charge du patient ou l’implication des professionnels de santé et des patients.


Les conditions organisationnelles et financières d'un développement de l'ETP en France : une analyse prospective

L’éducation thérapeutique (ETP) est aujourd’hui reconnue comme un élément essentiel de la prise en charge des patients atteints d’une pathologie chronique. Cependant, l’ETP pose de nombreux problèmes de mise en œuvre concrète : hétérogénéité des pratiques, implication variable des professionnels de santé et des patients, modalités de financement et d’organisation incertaines, etc. Or, les études médico-économiques mettent en évidence que, dans ces conditions, le résultat clinique et économique que l’on peut attendre d’une action d’éducation thérapeutique est incertain.

Compte tenu des éléments précédents, il serait profitable de développer l’ETP dans le cadre d’une stratégie globale visant : à définir une organisation cohérente de l’offre d’ETP (structures et professionnels impliqués), et à garantir la qualité de l’ETP dispensée.


Proposer une organisation coordonnée de l’offre sur un territoire

Une coordination forte de l’offre, à l’échelle d’un territoire, est nécessaire pour répondre à quatre principes de développement de l’ETP, qui semblent aujourd’hui consensuels :

  • en lien avec les soins délivrés au patient, dans une perspective de prise en charge globale ;
  • selon une approche le plus souvent multi-professionnelle, en accord avec la complexité des compétences que le patient doit acquérir ;
  • en assurant un principe de proximité ;
  • et de manière à assurer la transversalité ville-hôpital.

Dans cette perspective, il pourrait être intéressant d’identifier, sur un territoire donné, deux types de structures :

  • une structure de coordination et de ressources, qui aurait pour mission de coordonner l’offre d’ETP ; d’évaluer l’activité d’éducation thérapeutique et d’être un centre d’information pour les patients et les professionnels ;
  • et des structures prestataires d’éducation thérapeutique disposant des compétences et moyens nécessaires.

Une coordination des professionnels de santé impliqués est également nécessaire en précisant leurs rôles respectifs.

Les médecins généralistes ou spécialistes n’ont pas nécessairement la possibilité ou la motivation de s’investir dans la réalisation de programmes structurés d’ETP. Dans ce cas, ils restent des acteurs importants dans le développement de l’ETP en tant qu’initiateurs de la démarche (prescription de l’ETP, laquelle serait réalisée par une structure prestataire) et coordonnateurs de la prise en charge clinique et éducative avec un rôle important dans le maintien de l’observance et le suivi du patient. Les médecins qui souhaitent avoir un rôle actif dans la réalisation de l’ETP pourraient le faire, dès lors qu’ils s’engagent formellement dans une démarche qualité centrée sur l’ETP, fondée sur la formation et l’évaluation des pratiques professionnelles.

Le rôle des paramédicaux est prépondérant, notamment pour l’identification des besoins et des attentes des patients ou diagnostic éducatif, la réalisation des séances d’ETP, l’évaluation des acquisitions ou le suivi éducatif. Les infirmières sont les plus concernées, avec les diététiciennes et les podologues dans le diabète et les kinésithérapeutes dans l’asthme. D’autres professions peuvent intervenir telles que les psychologues, les animateurs sportifs, etc.

En l’état des réflexions, il apparaît prématuré de définir des orientations en termes de format de rémunération (paiement à l’acte, forfait patient, forfait séance collective, vacation) ou de montant, dans la mesure où ni l’organisation de la prise en charge ni le rôle de chaque professionnel de santé ne sont précisément définis.


Privilégier une montée en charge progressive et rationnelle de l’ETP

L’éducation thérapeutique peut être envisagée pour tous les patients atteints d’une pathologie chronique cible, cependant tous les patients n’ont pas les mêmes besoins.

Deux éléments militent pour une montée en charge progressive de l’éducation thérapeutique, en identifiant les patients qui pourraient bénéficier en priorité de cette action : un argument de faisabilité compte tenu de l’offre limitée actuelle ; un argument médico-économique compte tenu de la variabilité de l’impact de l’ETP selon les pathologies et les patients. Il pourrait donc être opportun de développer l’ETP dans un premier temps sur certaines pathologies puis, au sein de chaque pathologie, de définir un modèle de hiérarchisation des besoins éducatifs, afin de proposer un niveau éducatif adapté à la situation particulière des patients.


Mettre en place une démarche qualité

Les professionnels de santé et les structures souhaitant mettre en œuvre des actions d’ETP doivent pouvoir disposer de recommandations de bonnes pratiques élaborées par des sociétés savantes ou organisations professionnelles en partenariat avec les patients et leurs associations.

Les professionnels de santé impliqués ont besoin d’une formation à la démarche d’ETP, aux techniques de communication et aux techniques pédagogiques, au travail en équipe et à la coordination des interventions. Les compétences en ETP devraient pouvoir s’acquérir au cours de la formation initiale et continue ou à travers une expérience reconnue par une validation des acquis. Ces dispositifs de reconnaissance de l’expérience et des acquis sont à créer.

Le degré d’encadrement de la démarche qualité doit être précisé, ce qui pose la question de l’opportunité du développement d’une procédure de certification des structures et des acteurs prestataires d’éducation thérapeutiques. Il faudra s’interroger sur la forme qu’une telle procédure devra prendre et sur la possibilité de conditionner le financement de l’éducation thérapeutique à une procédure de certification.

Une démarche de certification des professionnels de santé est fortement recommandée, dans le cas de professionnels qui souhaiteraient pouvoir offrir des sessions d’éducation thérapeutique à leurs patients, en dehors d’une structure multiprofessionnelle. Concrètement, ils auraient l’obligation : d’une part, de s’inscrire auprès de la structure de coordination et de ressource en justifiant d’un niveau de formation ou d’une expérience suffisante dont les modalités de reconnaissance sont à définir ; d’autre part, d’évaluer leur pratique dans le cadre de l’EPP obligatoire sur la base d’un référentiel élaboré par la HAS.


Conclusion

En conclusion, il apparaît que le développement de l’éducation thérapeutique en France doit être encadré, afin de garantir la qualité et la proximité des soins.

Le développement de l’éducation thérapeutique repose sur le respect de deux principes opérationnels fondamentaux : la coordination de l’offre sur le territoire et la promotion d’une démarche qualité.

Concrètement, une coordination en trois niveaux peut être mise en place.

  • Au niveau national, la définition des orientations générales du développement de l’ETP en France (organisation, recommandations professionnelles, etc.) peut reposer sur des structures existantes, dont une serait chargée en outre d’assurer une veille sur l’activité.
  • Au niveau régional, il s’agit de coordonner l’offre et le financement de l’éducation thérapeutique tout en disposant d’un centre d’information pour les patients et les professionnels de santé.
  • Au niveau local, des structures et acteurs prestataires garantiraient une offre de proximité.


Les méthodes permettant de mettre en place rapidement une démarche qualité existent (certification, évaluation des pratiques professionnelles) mais les outils permettant leur adaptation à l’ETP doivent encore être élaborés : recommandations professionnelles déclinées par pathologie, cahiers des charges listant les critères de qualité d’une structure prestataire, référentiel d’évaluation des pratiques professionnelles, dispositifs de reconnaissance de l’expérience et des acquis en ETP.

Deux autres éléments sont indispensables en amont du développement d’une éducation thérapeutique de qualité et adaptée aux besoins de la population : l’inscription de l’ETP dans la formation initiale et continue des professionnels de santé concernés ; le financement harmonisé des actions d’ETP mises en œuvre par des structures ou des professionnels inscrits dans une démarche qualité.